Chapitre 27

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— Commandants et membres des Brigades Royales de Balhaan, c'est un plaisir et un soulagement de vous accueillir parmi nous. Je vous remercie d'avoir bien voulu faire le trajet dans les délais les plus prompts ; mais la situation n'autorise malheureusement aucun répit. L'Oracle m'a fait part d'une révélation qui pourrait bien bouleverser nos destins à tous... Et nous avons jugé bon de vous en informer afin de décider, tous ensemble, de la marche à suivre pour protéger notre peuple.

De la voix de Deny Ier émanait une sorte de fébrilité qui désarçonna Akis. Ce dernier s'était toujours imaginé le Roi comme un individu pédant et autoritaire, sûr de lui, doté de qualités certaines mais aussi et surtout d'un ego surdimensionné. Manifestement, cette représentation biaisée par des centaines de kilomètres n'aurait pas pu être plus espacée de la réalité : en l'occurrence, le Monarque de Balhaan semblait effectivement ravi de pouvoir compter sur le concours des Brigades et de ses éminents commandants. Ses mains, noueuses, se croisaient et se décroisaient à mesure que sa langue, plus habile que ses doigts, dictait des mots que le rouquin estima mûrement réfléchis. Puis le souverain sembla ravi de s'effacer au profit de l'Oracle ; ce dernier fut ébranlé par une légère quinte de toux et se redressa à grand-peine, en prenant pesamment appui sur sa canne sobre et usée. Une fois debout face aux commandants, il prit la parole d'une voix d'outre-tombe ; glaciale, grave, meurtrie, elle avait l'allure du vent qui souffle entre deux falaises hautes et escarpées. Les poils du natif d'Aville se dressèrent immédiatement sur ses bras et sa nuque ; il fut heureux de ne pas être détaillé par les pupilles de ce vénérable prophète, lesquelles se perdaient au fin fond d'orbites sépulcrales.

— Nous avons vu la mort. Nous avons vu le désespoir. Dans la nuit noire, le sang des Brigades répandu sur les cendres et les ossements. Dans la nuit noire, l'affliction et les larmes des rescapés. Dans la nuit noire, les clameurs des oppresseurs et les cors des bourreaux. Dans la nuit noire, Nous avons vu la fin des Brigades et du Royaume tout entier, sous les oriflammes sinistres de maints assaillants.

Ce vieil homme était lugubre ; sa voix l'était encore plus ; ses propos en rajoutaient encore une couche. Alarmé par la teneur épouvantable de ces sordides révélations, Akis chercha du regard le soutien de Jade qui, à ses côtés, semblait s'être pétrifiée. Alors il tenta plutôt d'épier les réactions des commandants ; et force était d'admettre que celles-ci demeuraient moins catastrophées. Dans l'ensemble, tous semblaient être parfaitement maîtres d'eux-mêmes ; entre le flegme tranquille d'Aiz, la solennité de Lida et le silence de Sidoni, le peu de place qui était laissée à la libre interprétation des spectateurs fut balayée par un Mezagar critique, qui n'hésita pas à prendre la parole sans plus attendre.

— Bon. C'est assez limpide... Nous sommes tous en danger, c'est bien cela ? Et qui est censé nous abattre, au juste ?

Les regards se portèrent une fois de plus en direction de l'Oracle qui, manifestement à bout de force, se laissa choir sur son trône. Après un grognement d'épuisement, le vieil homme se fendit d'un sourire édenté, que ses yeux violacés rendait macabre ; et sa voix grave se fit soudain étrangement inconséquente et vulgaire.

— Ça, j'm'en branle, mon p'tit pote. C'est votre boulot, pas le mien.

Sous les regards sidérés de l'immense majorité des soldats qui composaient le parterre prestigieux qui le dévisageait jusqu'alors, le vieil homme se fendit d'un rire haché, aigu ; puis une nouvelle quinte de toux le rappela à l'ordre et il manqua de cracher ses poumons tandis que le Roi Deny Ier, consterné par l'immaturité affichée par cet éternel prophète, tâchait de ramener un brin de gravité dans le débat.

— Vous l'aurez compris, la vision de l'Oracle est assez... nébuleuse, et sujette à interprétations multiples. Si notre fin semble scellée, nous ne savons ni quand elle interviendra, ni quelle sera la main qui l'apportera. Nous devons partir du principe que tous nos voisins sont susceptibles de tourner leurs armées vers nous...

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant