Chapitre 47

63 19 50
                                    


La journée avait été bien écourtée par la paire d'heures de sommeil supplémentaires qu'on avait généreusement octroyée à Akis ; tant et si bien que la nuit fut bientôt là, et qu'elle les contraignit à s'en retourner vaquer à leurs occupations quotidiennes à l'écart des terrains d'entraînement. Pour la première fois depuis belle lurette, il se joignit à Sora et à Andrek le temps de guider les bêtes qui paissaient encore jusqu'à la protection que leur conféraient les remparts de la forteresse. Ils en profitèrent pour lui adresser quelques questions discrètes, cherchant à savoir s'il avait bien vécu son entraînement intensif, et ils furent soulagés de constater que cela semblait être le cas. Si le rouquin d'Aville s'en tint à quelques évasives réponses pour ne pas avoir à préciser la nature des exercices cruels auxquels il avait été soumis, il fit preuve, au global, d'une certaine bonhomie qui requinqua ses deux amis.

Avec le recul, et malgré toute la violence des entraînements de Nakata, Akis considérait effectivement cette semaine épuisante comme un moindre mal. Serait-il, tout comme le commandant l'espérait, désormais en mesure de conserver la tête froide une fois confronté à l'adversité ? Seul l'avenir le leur dirait ; mais le rouquin se sentait assurément plus à sa place que le lendemain de la bataille les ayant opposés aux automates du Royaume de Kale. Il avait progressé, il le sentait jusque dans ses muscles ; et ceux-ci, par ailleurs, le tiraillèrent bien moins ce soir-ci que les précédents.

Vint enfin l'heure du repas ; Laley, Malir et Jade leur avaient préparé un bouillon riche, au sein duquel flottaient quelques morceaux d'une viande grasse sur laquelle Akis se jeta goulument. S'il ne lui fallut pas longtemps pour venir à bout de son propre bol, il remarqua bientôt que tout ses compagnons ne partageaient pas son empressement, ni son appétit ; tel était le cas de Nilly qui, à quelques sièges de lui, lorgnait sur son propre repas avec amertume. Ses traits étaient tirés, son teint cireux. S'il ne l'avait que peu côtoyée, le rouquin se surprit à constater qu'elle avait changé ; elle semblait s'être amaigrie drastiquement, elle qui était pourtant autrefois si athlétique. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle passait l'essentiel de ses journées esseulée dans sa chambre ; et si le bandage qui ceignait son bras tranché pouvait bien les rassurer quant à l'état de sa meurtrissure, il allait sans dire que son esprit, lui, n'était pas encore sur la voie de la convalescence.

Elle tenta, de son unique main, de se nourrir convenablement ; seuls deux essais fructueux précédèrent un échec retentissant. D'un geste trop ample, elle renversa l'essentiel du contenu de son bol sur la planche de bois usagée qui leur servait de table ; elle tressauta, se mordit la lèvre inférieure en semblant être sur le point d'éclater en sanglots ou de maudire l'intégralité des dieux d'Ipeiris, puis quitta sa chaise d'un geste furibond, s'enfuyant à grandes foulées en direction de sa chambre dans laquelle elle entendait probablement se calfeutrer. Si Lani esquissa un geste et entrouvrit la bouche, ayant sans doute dans l'idée de la poursuivre pour l'empêcher de se refermer encore davantage sur elle-même, Silvia l'en empêcha en prenant la parole de sa voix claire et sèche.

— Non, Lani ! Elle a besoin d'être seule.

C'était une certitude pour cette guerrière noble, qui n'avait jamais envisagé son existence autrement qu'armes aux poings. Si elle avait été plongée dans la situation de Nilly, elle aurait probablement préféré demeurer isolée autant que possible ; en l'occurrence, envahir son espace intime et la contraindre à la discussion était le meilleur moyen de la rendre plus agressive et plus acariâtre encore. Lida, aussi neutre qu'elle pouvait l'être, acquiesça en silence pendant que les bruits de pas de l'ancienne apprentie s'atténuaient, portés par les échos ancestraux de la forteresse du Zygos. Ce ne fut qu'une fois le silence retombé pleinement que Rolan s'exprima, non sans une douleur perceptible dans la voix ; les mots qu'il prononça étaient plus piquants qu'une nuée d'aiguilles effilées.

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now