Chapitre 46

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Les cinq premiers jours de sa nouvelle vie s'écoulèrent d'une seule traite. Ce ne fut qu'au cours du sixième qu'une pensée fugace le désarçonna : il n'avait plus pris le temps d'être triste depuis que Nakata et Aiz avaient pris sa formation en charge. Ni Oscar, ni Keylan n'étaient venus hanter ses songes et ses cauchemars depuis belle lurette. Il se contentait de vivre, de survivre, de passer d'un jour à l'autre en envisageant que son avenir ne serait plus jamais peuplé de quoi que ce soit d'autre que de cet entraînement éreintant auquel on le soumettait perpétuellement.

Le matin, de bonne heure, le rouquin mangeait, s'habillait chaudement, préparait son paquetage et rejoignait les deux commandants sous les contours de l'ancienne porte cochère ; puis s'en suivait une bonne heure et demie d'une ascension sportive pour retrouver le petit promontoire rocheux sur lequel, perchés, lui et ses deux camarades installaient leur camp pour les heures à venir. Débutait alors l'entraînement, vigoureux, fiévreux, impitoyable. La douleur le submergeait immanquablement, ainsi que la détermination : il tâchait de rendre honneur à Aville, à la Huitième Brigade, à ses précédents formateurs, mais se couvrait sans cesse de ridicule face à la virtuosité physique dont son vis-à-vis faisait preuve. Parfois, Nakata mettait un terme bref à leurs passes d'armes pour lui glisser quelques conseils et explications au sujet des postures à adopter, des gestes à esquisser pour maximiser son efficacité. Souvent, il se contentait de lui crier de lapidaires indications tout en continuant à le harceler d'estocades prestes. Toujours, Akis échouait à riposter et voyait son adversaire briser ses espoirs en lui adressant tantôt une claque sèche, tantôt un coup de pied furibond.

Venait ensuite l'heure du repas, entracte indispensable pour le natif d'Aville qui se remplissait la panse à n'en plus pouvoir. Il lui semblait que les facultés étranges de Nakata l'affamaient un peu plus à chaque fois qu'il devait les convoquer ; aussi prenait-il le temps d'engloutir tout ce qu'on daignait lui tendre. Une fois cela fait, il s'affalait dans un coin, sous un monticule de couvertures qui l'épargnait du froid et lui permettait de s'octroyer une sieste d'une bonne heure. Le blond en profitait pour se relaxer également, et évoquait souvent la vie de l'Orphelinat, dans des bribes de conversations qu'il partageait avec Aiz et dont Akis ne cernait pas grand-chose. Enfin l'heure de la reprise sonnait ; et ils se redressaient pour reprendre leurs échanges là où ils les avaient laissés.

Lorsque le soleil commençait à décroître, les trois hommes mettaient un terme à la danse et remballaient précipitamment leurs affaires. La descente commençait alors, et Akis avait généralement besoin du soutien d'Aiz pour la réaliser d'une traite. Il buvait et commençait même à manger, parfois, le long des sentiers que le froid intraitable du Zygos rendait désertique. Finalement, ils retrouvaient l'ensemble de la Huitième et Laley, qui demeurait à la forteresse pour offrir son aide ; ils y mangeaient, se nettoyaient en mettant à profit le peu d'énergie que leurs pérégrinations avaient épargné, puis se plongeaient sous leurs couvertures et sombraient dans un sommeil profond, que rien ne troublait jamais.

Mais le septième jour fut différent. On ne leva pas le camp aussi tôt ; a contrario, on laissa même à Akis le luxe de réaliser une grasse matinée, dont il n'eut conscience qu'à son réveil, lorsqu'il remarqua que les moutons bêlaient énergiquement au-dehors. Il se releva à la hâte, craignant qu'on l'ait oublié ; puis il se rappela qu'il était précisément l'objet des escapades de Nakata, et se contenta de le chercher avec appréhension. L'avait-il déçu ? L'avait-il poussé à considérer une autre voie ? N'avait-il pas été à la hauteur ? Fort heureusement, on sembla vouloir lui épargner les tourments que ces questions engendraient en sa psyché, puisqu'il découvrit Aiz et Nakata attablés dans l'atrium du donjon principal. Ils y étaient seuls, signe que les autres membres de la Huitième Brigade s'étaient sans doute déjà déployés pour s'atteler aux tâches routinières qui n'attendaient qu'eux ; et le blond fringant lui adressa un sourire généreux ainsi que de grands gestes de la main pour l'attirer jusqu'à eux.

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now