Chapitre 20

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Sa lame tirée au clair, la commandante de la Huitième Brigade Royale dévorait son vis-à-vis d'un regard assassin. Ce dernier, de son côté, avait l'air étonnamment détendu. N'était-ce qu'une façade, destinée à pousser Lida hors de ses gonds, ou assumait-il cette situation anxiogène avec une réelle décomplexion, avec une nonchalance qui taisait son nom ? Akis aurait été bien en peine de découvrir la vérité qui se nichait derrière cette apparence désinvolte. Toujours était-il que Nakata ne demeura pas éternellement désarmé face à la première soldate du continent, laquelle semblait être bien déterminée à lui faire la peau : il dégaina sa propre épée, qui jusqu'à présent battait son flanc gauche dans son fourreau mordoré.

Tout ce qui séparait l'une et l'autre des deux commandants pouvait être résumé aux différences manifestes que leurs armes arboraient. Du côté de Lida, on avait affaire à une arme sobre, spartiate, large, dotée de deux tranchants, d'une garde brute et épaisse, d'une poignée longue. De celui de Nakata, on pouvait aisément considérer que ce sabre ne représentait aucun réel danger ; en revanche, on pouvait être tenté de lui donner le qualificatif d'œuvre d'art. La branche de sa garde rejoignait la calotte en s'évasant délicieusement, dans une nuance de couleurs dorées qui resplendissaient face au soleil. La lame, dont le fil était légèrement recourbé, présentait une cannelure gracieuse. L'acier qui composait le tranchant semblait trempé ; y dansaient une myriade de couleurs, tantôt profondes comme l'océan, tantôt fougueuses comme les étoiles, en fonction de la lumière qui l'auréolait.

Même depuis qu'il avait été recruté par la Huitième Brigade, Akis n'avait jamais pu poser son regard sur une arme d'une telle facture ; tant et si bien qu'il se mit à penser que cette épée n'avait pas été conçue pour le champ de bataille, mais pour sublimer l'apparat d'un parfait hâbleur. Se pouvait-il que Nakata ait usurpé sa place, en tant que commandant d'une Brigade ? Avait-il réussi à duper tout un parterre de combattants aguerris grâce à son joli minois, à sa splendide assurance, à son indicible effronterie ?

Non ; et cette réponse cinglante fut apportée bien assez tôt. En une fraction de seconde, Lida passa de la posture froide à la virulence déployée. Une projection vive la porta rapidement à la hauteur de son vis-à-vis ; puis, une fois plantée face à lui, elle menaça de le décapiter d'un geste mordant, chirurgical. Cette offensive impitoyable aurait sans doute pu tuer bon nombre de combattants aguerris... mais pas Nakata. Ce dernier se pencha vers l'arrière au dernier moment, se jouant avec malice de toutes les certitudes que les spectateurs auraient pu déployer au sujet de ses compétences. Dans le même temps, il expédia la pointe de sa lame droit vers la gorge de la commandante ; elle ne s'en soucia guère, et usa plutôt de son don, de sa peau invulnérable pour endurer cet assaut sans broncher.

Il allait sans dire qu'elle n'aurait pas fait montre d'une telle précipitation, aux dépens de sa propre sécurité, si elle n'avait pas été dotée de son effroyable invulnérabilité ; pour autant, Akis considéra très froidement que n'importe quel soldat issu du tout-venant aurait été abusé par cette esquive inespérée, à laquelle s'était conjuguée une riposte d'une finesse considérable. Sur l'entame de cette confrontation, Lida avait esquissé un geste qui aurait pu tuer n'importe lequel de ses adversaires, Nakata mis-à-part ; et il répliquait avec une offensive qui aurait précipité n'importe lequel de ses assaillants en enfer, Lida mise-à-part.

Ils ne mirent pas un terme à leur danse aussi promptement. La lame de la commandante revint bientôt à la charge ; et il l'évita d'un pas gracieux avant de répliquer, toujours sans parvenir à trouver de faille dans la défense d'airain de la plus puissante soldate de Balhaan. Elle le chassa en grognant ; il s'en fut d'une pirouette insolente, mais fut contraint à demeurer sur la défensive tandis que le poing de la commandante menaçait de lui éclater le nez. Il se déroba face à sa charge désarmée grâce à un coup de rein millimétré. Puis son jeu de jambes, toujours aussi méticuleux, le plaça sur le flanc de la combattante qui n'eut d'autre choix que celui d'encaisser, une fois de plus, l'estoc qu'il lui destinait.

Le Royaume de BalhaanWhere stories live. Discover now