Chapitre 2

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Let's rock, baby !

— Non, non, non... Ça ne va pas du tout ! Vous êtes là, ou pas ?!

Une adrénaline de dingue se dégage du public. J'ai l'impression que la foule est en feu et qu'elle s'apprête à exploser. C'est ça, le secret : leur donner ce qu'ils veulent. Les frustrer pour mieux libérer la pression par la suite. D'abord, je fais tourner une boucle musicale jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus et je reprends le refrain. Effet dynamite garanti. En choeur, près de trente mille personnes reprennent mon titre phare. Putain, je n'ai même pas besoin de chanter. Je suis arrivée à un tel niveau qu'il me suffit de laisser les musiciens faire le travail. Le public pourrait carrément faire le concert à ma place.

La boucle tourne encore. Ils sont chauds, je le sens, mais je vais quand même vérifier.

— Je veux vous voir prêts à exploser ! Un ! Deux ! Trois !

Des milliers d'yeux, des regards éphémères et passionnés qui se posent sur moi. Beaucoup de mecs. Les lumières m'aveuglent comme des flashs et tous les soirs ou presque, c'est la même folie. La musique pulse à fond dans mes oreilles et j'ai la rage au ventre. J'ai encore tellement à dire et tellement à faire. À chaque fois que je monte sur scène, j'ai le trac, mais lorsque les premières notes arrivent à mes oreilles, un monstre sacré s'empare de moi. Tous mes membres deviennent du magma en fusion et je me retrouve survoltée comme si je venais de me taper un énorme rail de coke.

Ça y est, le beat reprend son cours et je chante en choeur avec eux. C'est une communion, un moment de partage d'une puissance inimaginable. Je ne fais pas de musique pour la foule : c'est comme si je fusionnais avec elle. Elle me donne tout et c'est un échange réciproque. Je pourrais tout sacrifier pour ces gens parce que grâce à eux, je me sens vivante. Je me sens exister. Comme si j'avais une place dans ce monde : une vraie. Moi, l'orpheline latino qui ne vient de nulle part, j'ai cette sensation au fond de moi que je suis à ma place et que rien ne pourra jamais m'arrêter. Je me sens tout à coup un titan invincible prêt à bouffer le monde. Même si je n'ai rien dans la vie, je l'ai elle : ma foule. Ma vie. Mon énergie. Celle à qui je donne tout et qui me le rend au centuple parce que, bordel, c'est ça la vie d'artiste : dépenser une énergie dingue et la recevoir en retour en pleine face, mais au centuple. Comme si je parvenais à allumer un feu dans chacun des coeurs en face de moi et qu'ils me le renvoyaient, à la manière d'un boomerang sentimental ardent.

Ça y est, le concert est terminé et pourtant, j'en veux plus. C'est une drogue. Une putain de drogue qui m'use, me détruit et pourtant, j'en redemande.

Les backstage. Enfin. Je suis électrisée. Je ne tiens pas en place. J'ai les mains qui tremblent et la voix qui déraille. J'ai hurlé à m'en déchirer les poumons, j'ai chanté à en perdre haleine et je me suis presque rendue sourde à demander aux musiciens de monter le son. Mais au moins, ils en ont eu pour leur argent.

— Comment c'était ? demandé-je à Nate, mon assistant.

Le jeune binoclard, qui me colle aux basques et me suit comme mon ombre en permanence, s'empresse de répondre :

— Très bien. Comme toujours, mademoiselle Cami...

Je lui coupe la parole en lui jetant mon micro et ma veste de survêtement.

— Range ça dans ma loge. Grouille-toi.

Ce soir, je ne suis pas d'humeur pour les photos et les dédicaces. Je me suis suffisamment donnée. En temps normal, il m'arrive de rejoindre la horde grouillante et transpirante de fans qui m'attend dehors. Mais, là, j'ai plutôt envie de me détendre un peu. J'espère que Nate a programmé mon rendez-vous et que ce connard n'a pas encore décommandé.

Twins CampusWhere stories live. Discover now