Chapitre 29

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Run away

— Tu étais magnifique, avoue Nate d'une voix calme.

Une semaine est passée depuis que j'ai chanté au studio d'enregistrement. Tout devrait être mixé sous peu et nous aurons une maquette exploitable, d'après mon assistant. Avec quelques retouches, il est certain que cette chanson pourrait devenir un véritable succès. Parce que, d'après lui, elle était chantée avec le coeur et les tripes.

Il repasse la vidéo de ma performance.

— Je ne savais pas que tu m'avais filmée.

— Ça aurait été dommage de manquer ça, pour être honnête.

Je crois que je rougis. Surtout lorsque Nate relève les yeux de la vidéo pour les poser sur moi. Le regard qu'il porte sur moi est toujours si doux et si bienveillant alors qu'il n'a que froideur pour les autres. Pourquoi ? Je ne saurais répondre à cette question et je m'en fiche pas mal.

Et tout à coup, mon coeur se serre de nouveau. Je n'ai pas été honnête, avec lui. Je ne lui ai pas dit, pour le licenciement auquel je suis contraint. Je ne suis pas certaine qu'il le comprendrait. Le pourrait-il ?

— Je me demande comment tu fais pour être toujours aussi solide et aussi gentil, Nate. Mais, d'un autre côté, j'en ai parlé avec Camilla et elle m'a dit que c'était... Ton travail, en fin de compte.

D'un mouvement sec, Nate acquiesce de la tête, mais il ajoute :

— Seulement avec madame Camilla. Avec toi, c'est différent.

Tout à coup, je suis piquée de curiosité et mon coeur s'emballe. Nate a-t-il plus de sympathie pour moi que pour Camilla ?

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il souffle du nez, esquisse la moitié d'un sourire, puis replonge son regard dans le mien.

— Toi et moi, nous venons du même endroit : d'en bas. Et j'ai vu que tu avais énormément de talent. Tu mérites d'être ici et je t'admire beaucoup pour ça. Camilla est ma patronne, mais elle n'a que du mépris, pour moi. J'ai sacrifié tous les jours de ma vie à me plier à chacun de ses caprices, mais ce n'est jamais assez. Avec toi, tout est tellement plus... Simple. Je crois que je t'apprécie vraiment, Bianca.

Je ne peux pas. Je n'en peux plus. Cette situation est tout simplement insupportable. Je dois absolument lui avouer toute la vérité. Il en souffrira encore davantage ensuite. D'autant plus que je ne suis pas indifférente à son charme. Il est toujours là pour moi, quand j'ai besoin de lui. Il ne fait jamais d'histoires et j'ai le sentiment persistant qu'il n'est pas seulement un assistant ou un garde du corps, mais bien un ange gardien. Comme s'il était tombé du ciel. Il en a la bouille, d'ailleurs. Même si je sais que sous ses airs angéliques se cache un animal féroce.

— Nate, je dois te parler... soufflé-je.

Il lève la tête vers moi, puis coupe son téléphone.

— Qu'y a-t-il ?

— Tu te souviens de la fête de H3yliie ?

Tout à coup, il redevient beaucoup plus sérieux. Cette fois, plus un seul sourire, même mince, ne parcourt son visage de robot. C'est comme s'il s'était refermé à l'évocation de cette soirée. Il sait très bien ce qu'il a fait, lors de l'anniversaire de la jeune rappeuse. Il a conscience de ce que cela pourrait lui coûter.

— Là-bas, tu as amoché un type.

— Edgard Norton. Un acteur, slash, chanteur, mais aussi un sale type.

J'acquiesce sans savoir comment poursuivre cette conversation des plus difficiles. J'ai le souffle court. La sensation d'étouffer est trop grande. Je dois retirer le sparadrap d'un seul coup. Même Camilla m'a suggéré de le virer. Elle n'a pas la moindre empathie pour lui. Pour elle, ce n'est qu'un pion remplaçable comme les autres. Mais pour moi, Nate est devenu bien plus que ça. Je sais que ma soeur jumelle se serait débarrassé de lui en un claquement de doigt sans même le remercier pour ses bons services. Mais je ne suis pas comme ça. Comme Nate l'a si bien formulé, nous venons du même endroit, lui et moi : du bas. J'ai tellement de peine que je pourrais pleurer si je ne me retenais pas ardemment.

— Il veut porter plainte contre la société de production, pour ce que tu as fait. Parce que tu es directement lié à moi, et...

— Où veux-tu en venir ?

— Il demande réparation. Et... Sa réparation, c'est... C'est que tu sois viré.

Pour la première fois depuis que je le connais, Nate a l'air véritablement affecté. Il encaisse la nouvelle comme s'il venait de prendre un bus en pleine face. Son visage se crispe en une moue de résilience.

— Il... Il m'a menacé.

— Qui ça, Bianca ? Qui t'a menacé ?

— Anton Demazio. Il a dit que si je ne te virais pas, toute ma carrière était fichue. Enfin, pas ma carrière, mais celle de Camilla. Je te jure que j'ai essayé. J'ai même prévenu Camilla, mais...

Nate se redresse. Buste droit. Il réajuste ses lunettes, puis s'humecte les lèvres.

— Je vois. Donc, tu as déjà pris ta décision.

Je ne sais quoi lui répondre. J'ose à peine imaginer combien ce travail est important pour lui et combien il a dû se battre pour l'obtenir, mais je n'ai pas d'autre choix.

— C'est... C'est Anton qui me menace. Et Justin, aussi. Tous les deux, ce sont de vrais enfoirés. Ils menacent de foutre toute ma vie en l'air et c'est bien ça, le problème : ce n'est pas ma vie. Je ne peux pas me permettre de la bouleverser davantage. Il est temps que tout ça prenne fin.

Nate ne dit plus un mot. Il se contente de donner quelques coups contre la baie vitrée qui nous sépare du chauffeur du véhicule, pour attirer son attention.

Lorsque l'intéressé baisse la vitre, mon assistant n'a que trois mots pour lui :

— Arrêtez le véhicule.

Un ordre simple. Direct.

— Nate, je t'en prie, ne le prends pas comme ça.

Lorsque la voiture s'immobilise, il ouvre la portière, au beau milieu de la rue, tandis que derrière nous rugissent les Klaxons.

— Nate ! Je n'ai pas le choix ! Si j'avais pu... Si j'avais pu... Je te jure que j'aurais fait autrement !

— Vos prochains rendez-vous sont notés dans l'agenda. Bonne continuation, Bianca.

La solennité avec laquelle il s'adresse à moi me brise le coeur. Je suis en miettes, lorsque Nate demande au chauffeur de repartir. Tout ce que je vois, c'est son reflet dans les rétroviseurs, debout au milieu de la route, tandis que nous nous éloignons avec froideur.

Mon coeur s'embrase et je suis prise d'un chagrin plus profond qu'un abysse.

Nate...

Twins CampusWhere stories live. Discover now