Twins Campus

Chapitre 10

10.

Memories

Je n'ai jamais vécu ici. C'est une maison de campagne tout ce qu'il y a de plus banal, perdue au nord du Michigan. J'ai encore froid, mais cela ne m'atteint plus. Je reste figée à la sortie de la voiture. Je suis contemplative. Mon regard se perd dans les murs, faits de rondins de bois. On dirait une cabane de trappeur plus qu'une maison, mais cela me remplit d'émotion. Pourquoi ?

— Voilà. Ce n'est pas grand chose, mais c'est chez nous.

Je ne trouve rien à répondre à cela. Bianca a l'air de ressentir un bonheur simple conjugué de mélancolie à l'idée de se trouver ici. Hier encore, j'étais à son campus, à Palm Beach, et je l'en extirpais pour qu'elle me conduise en face de cette maison. J'ai peut-être agi avec précipitation. Ou impulsivité. Ou... Les deux. Mais peu importe. Maintenant que je suis là, je veux tout savoir de la famille qui vivait ici.

Nous passons la porte de cette baraque miteuse et Bianca commence à me raconter tout ce qui se déroulait dans cet endroit. Nous sommes dans le salon : lieu des histoires de son enfance, des moments privilégiés avec ses parents mais aussi l'endroit qu'elle préfère. C'est ici qu'était installé le sapin de Noël, d'une part, et d'autre part, d'ici, elle avait accès à la fois à sa chambre juste à droite, mais aussi à la cuisine, d'où s'échappait souvent une odeur de délicieux cookies.

— Tu as de la chance de te souvenir de tout ça, lâché-je.

Cependant, revenir ici semble lui provoquer comme un coup de massue sur la tête. Elle a l'air assommée. Ou alors... Est-ce le froid ? Non, je ne crois pas. Elle y semble plutôt habituée. Bianca n'est pas dans son assiette, ça se voit.

— Ouais. Si on peut dire... Enfin bref... Putain, le courant ne s'allume plus. Sûrement une tempête de neige, comme d'hab'. Je vais redémarrer le générateur. Attends-moi ici, ne bouge pas.

J'opine du chef, puis patiente quelques instants dans le salon. Au passage, j'en profite pour analyser l'endroit dans lequel je me trouve. Je devine tout ce qui a pu se passer, entre ces murs. Les bons moments, comme les crises. Ils sont chargés d'une histoire familiale qu'en fin de compte, je ne connaîtrai jamais. Bianca pourra tout me raconter, mais ce ne sera jamais pareil que d'avoir vécu ces instants de famille.

Parfois, j'aimerais que tout change. J'ai beau être une superstar, je ne me rends plus compte de ce que j'ai. Tout ce qu'il me reste en tête, c'est ce qu'il me manque. Et ces pensées trottent sans cesse, comme l'aiguille d'une horloge. Jamais elles ne s'immobilisent dans un coin de mon cerveau pour me laisser tranquille. C'est comme si j'étais condamnée à vivre avec l'idée que je serai toujours seule, quoi qu'il advienne. La richesse, le succès, la célébrité et le pouvoir, ça attire les gens, bien sûr. Mais pas comme on l'espère. Personne n'est là pour moi. Ils sont autour seulement pour ce que je représente et parce qu'ils ont vu quelques paillettes. Je n'ai plus aucune relation saine. Normale. Chaque parole, chaque mot, est interprété par mon cerveau comme si tout le monde en voulait à mon succès ou ma fortune.

Je n'ai pas côtoyé de personne simple depuis... Bianca, en fait. Celle qui est visiblement ma soeur jumelle, selon les informations de Nate, est bien la seule personne qui ne soit pas ultra-fortunée ou ultra-célèbre à laquelle j'ai parlé ces dernières années. Quand on mène une vie comme la mienne, on ne se rend plus compte de tout ça. Nous vivons tous dans une sphère tellement insaisissable pour le commun des mortels qu'elle en devient divine. Pour autant, même les dieux ont leurs problèmes. Mon couple bat de l'aile, je ne suis qu'un objet pour mon mec et les concerts à répétition commencent à me donner des acouphènes, ainsi qu'un sévère mal de crâne. Plus le temps avance, plus je me rends compte que je suis épuisée. Alors, pourquoi est-ce que j'en redemande ? C'est comme une drogue. Je sais que la musique me tue et pour autant, j'ai envie d'en prendre une bouchée de plus à chaque fois.