Chapitre 12

53 8 0
                                    

12.

Campus Highlight

Je pousse la porte de la chambre universitaire qui est désormais la mienne et suis prise d'une joie incompréhensible. Depuis que j'ai filé la patate chaude à Bianca, je me sens libérée d'un poids qui me compressait la poitrine depuis trop longtemps, déjà. Je ne suis plus du tout sous pression. J'ai l'impression qu'un clone de moi est en train de subir ma vie à ma place. Et, bon sang, ce que ça fait du bien ! La décoration est sobre, mais efficace. Quelques posters — un de moi — et une guitare. Bien.

Pour fêter ça : téquila.

C'est mon premier réflexe. Je commence par fouiller les placards à la recherche d'une boisson alcoolisée, mais évidemment, je ne trouve rien. Merde, j'aurais dû m'en douter. Alors que je m'apprêtais à appeler Nate pour qu'il aille en acheter à ma place, je me rends compte du bonheur immense qui m'anime : je suis libre d'y aller par moi-même. Avec ma nouvelle dégaine, personne ne me reconnaîtra, dans la rue. J'ai une raie simple, je suis habillée tout ce qu'il y a de plus normalement, je porte des lunettes et je n'ai même pas une once de maquillage ou de bijoux. C'est comme si je n'étais plus moi-même et cette impression de sortir de ma peau pour me métamorphoser est absolument extraordinaire. J'en savoure chaque instant comme une victoire, à tel point que je m'écroule dans le lit en riant. Je vais pouvoir faire tout ce que j'ai envie en toute impunité, en étant anonyme. Personne ne guettera mes allées et venues dans la rue. Personne ne s'intéressera à mon couple et à tout le reste. L'anonymat le plus total. Incognito. Tout ce que j'ai à faire en échange, c'est d'aller en cours pour écouter de vieux ratés parler de leurs vies minables et de leurs matières inintéressantes. Ça ne me paraît pas insurmontable. Loin de là.

Je sens que je vais tout déchirer, dans cette université de losers. Il n'y en a pas un qui m'arrive à la cheville. C'est comme posséder un doctorat et se rendre dans une maternelle pour passer les examens à la place des gosses.

Bon, Bianca m'a laissée quelques instructions pour la suite, par SMS.

Regarde bien ton emploi du temps. Ne sois pas en retard. Ne te fais pas démasquer. Ne fous pas le bordel.

Facile. À part le dernier point qui est, au contraire, tout à fait mon genre. J'ai encore du mal à croire que je vais m'immiscer parmi les gens normaux et vivre comme eux l'espace de quelques semaines. C'est dingue. Je suis folle de joie ! Bianca n'a pas la moindre idée des emmerdes qu'elle s'apprête à affronter. Toute la pression d'une vie de star va lui tomber dessus d'un seul coup, comme un couperet aiguisé. Et je ne suis pas certaine qu'elle soit prête à endurer cela. C'est pour ça que je dois absolument profiter de chaque jour qui passera dans cette université, parce que j'ai conscience qu'elle ne tardera pas à m'appeler pour me dire qu'elle veut échanger de nouveau nos vies.

Parce que c'est comme ça : tout le monde voudrait devenir une star, mais rares sont ceux qui ont les épaules pour porter cette responsabilité. Alors que des gens normaux, il y en a partout.

On frappe à la porte de ma chambre alors que j'allais sortir pour m'enfiler quelques tequilas. Ah, oui, tout de même : je ne suis pas cinglée. Même si j'ai laissé l'intégralité de ma vie à Bianca — ce qui signifie aussi mon argent, ou en tout cas mon compte courant — j'ai quand même pris le soin de retirer quelques dollars, afin de me simplifier la vie. Je sais, c'est tricher, mais je ne pouvais pas vivre tout un mois sans au moins cinquante mille dollars en petites coupures.

J'ouvre et aperçois un type au regard mielleux. Ah, ça y est, je le reconnais... Il s'agit de Cole ! Le type qui a trompé Bianca. Elle m'a raconté cette histoire. Mmh... Il est mieux en vrai qu'en photo, ce qui est assez rare.

— Qu'est-ce que tu veux, puant ?

La tronche qu'il tire en dit long sur sa surprise. Il ne s'attendait sans doute pas à ce que je lui ouvre de cette façon.

— Comment tu me parles ? Je suis ton mec, pas ton chien.

Amusant. Il est vraiment mignon, lui. Je referme la porte de ma chambre, puis me place à son niveau, dans le couloir.

— Et tu ne me fais pas rentrer ?

— Pourquoi faire ? Pour que tu me baises ?

J'ai l'impression que les yeux de Cole vont sortir de leurs orbites.

— Moins fort, putain.

— C'est vrai que ce couloir résonne pas mal. Ce serait con que tout le monde apprenne qu'on couche ensemble, pas vrai ? lâché-je en haussant la voix. Pourquoi, t'as pas envie que ça se sache, hein ? Tu préfères garder ton petit vide-couilles secret, c'est ça ?

— Bianca, je...

Cole ne se démonte pas. Enfin, pas trop. Il reste en place, le poing serré.

— Qu'est-ce que tu vas faire avec ton petit poing, hein ? Me frapper ? J'en ai connu de plus durs que toi. Aussi bien au lit qu'en vrai. Tu ferais mieux de ne pas sortir ta petite saucisse de son emballage, aujourd'hui, sinon elle pourrait bien finir dans un pain à hot-dog.

À mesure que je parle, je vois les différentes portes des chambres s'ouvrir sur des silhouettes hilares, téléphones en main.

— Tu sais quoi ? Filmez-la tous, les gars ! Cette salope est complètement tarée ! Elle pense que je veux coucher avec elle !

— Ouais, ils filment tous, enfoiré. Mais ce n'est pas de moi dont ils se moquent, crois-moi. Demain, avec un peu de chance, tu seras une star éphémère de TikTok. Un peu de lumière avant de finir dans l'ombre jusqu'à la fin de tes jours. Je te largue.

Pris d'un sursaut de colère, Cole me pousse contre la porte de ma chambre avec violence. Putain, quel abruti ! Il a de la force. Je crois qu'il m'a démis l'épaule. Je ne sais pas ce qu'il imaginait, mais sa réaction n'a absolument rien de virile ou de puissante. Tout ce qu'il démontre, c'est toute sa faiblesse. Tant et si bien qu'il est maintenant la cible d'humiliations dans le couloir. J'en lâche mon téléphone et mes clés tant le choc était puissant.

« T'es malade, Cole ?! », « Elle va bien, vous croyez ? », « C'est qui, déjà, cette fille ? »

Tout à coup, un grand type aux cheveux mi-longs surgit de la foule pour attraper mon agresseur par le col de la chemise.

— Qu'est-ce que tu veux, toi ?

Sans prendre la peine de répondre, mon sauveur envoie à Cole un grand coup de poing dans la figure, ce qui provoque immédiatement la chute de cet espèce de connard imbu de lui-même.

Alors celle-là, je suis obligée de reconnaître que je ne l'avais pas vue venir. Qui est donc ce type qui se prend pour mon chevalier servant ? Je gérais très bien la situation. Il n'avait pas besoin d'intervenir. Maintenant qu'il vient de faire sa petite apparition héroïque devant les caméras de tous nos camarades de chambrée, il se glisse dans la peau du sauveur alors que j'étais une véritable rockstar en hurlant sur Cole. Il me vole la vedette ! Ça, c'est vraiment dégueulasse.

— T'es malade ? T'es qui, toi ?

L'air de ne rien comprendre, mon chevalier me regarde avec incrédulité.

— De rien.

— Je n'avais pas besoin de ton aide, putain, dégage d'ici. Tu te prends pour qui ?

Il pose son regard profond aux reflets d'argents sur le mien, fronce les sourcils, puis rabat l'une de ses mèches sur le côté avant de disparaître dans la foule qui, déjà, avance vers moi pour s'inquiéter de mon état.

— Je vais bien, je vais bien, foutez-moi la paix !

Il m'a agacée et pourtant, le seul que je cherche dans la cohue est celui qui ne s'y trouve pas : mon mystérieux bienfaiteur. Ce regard hypnotique m'intrigue. Quand on devient connu, on se rend compte de quelque chose d'exceptionnel : le sixième sens. On sait tout de suite quand on a été reconnus. Le regard, les traits qui changent légèrement... C'est presque imperceptible et pourtant, nous sommes capables de le voir assez facilement, avec l'expérience.

M'a-t-il reconnu ? S'il parle, ce type pourrait bien faire capoter toute notre mise en scène. 

Twins CampusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant