Un instant perdu

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Reportage.

Des marches menant à une entrée monumentale, beaucoup de marbre blanc mais sale, la frénésie d'une petite foule attroupée au bas de l'escalier.

Laura connait cet endroit par coeur. Elle s'y est encore rendue la semaine précédente, dans son unique tailleur guindé, un dossier sous le bras, pour une dissertation sinistre. Arpenter les couloirs, pousser les portes, échanger quelques mots creux avec les uns et les autres, présenter un rapport, tout ça, elle gère, la façade intacte. C'est chaque fois plus facile, en réalité : peu à peu, les ombres s'effacent, les silhouettes se précisent, elle n'a plus l'impression de l'entrapercevoir dans l'ascenseur qui se ferme, dans le public de la salle d'audience, sur le parking entre les voitures martelées par la pluie.

Soudain, un flot de costumes sombres s'échappe de la bâtisse, la foule s'anime et grimpe à sa rencontre, des gardes de sécurité s'interposent pour empêcher la ruée. Parmi les nouveaux venus, une femme se détache du petit groupe et s'offre aux micros brandis, aux caméras voraces.

Son nom apparait un instant en bas de l'écran, mais Laura s'en fiche. Seule compte la teneur de sa déclaration. Elle se doute déjà de ce qui va être dit, dans les grandes lignes, mais elle a besoin de l'entendre.

Miranda Badger est coupable, bien sûr. D'avoir engagé un tueur à gages sur Internet, de l'avoir payé une somme absurde pour qu'il aille loger deux balles dans le corps du docteur Jonathan Slavek, elle l'a avoué au cours du procès, sans le moindre remords.

Le seul moyen de le faire taire, a-t-elle argué, encore et encore, comme s'il s'agissait d'une circonstance atténuante.

Bien sûr qu'elle ne regrette rien. Elle a rempli sa mission. Jonathan ne prendra plus jamais la défense d'un criminel sous prétexte qu'il a l'esprit dérangé.

Ironie, la cour a débattu de l'impact du meurtre de son fils sur la santé mentale de Badger. Heureusement, l'argument de la démence a été écarté. Elle a posé ses choix, échangé des emails, prémédité un assassinat répugnant, versé la somme, puis attendu la bonne nouvelle.

Elle s'est servie des audiences pour vociférer, encore et encore, salir le nom d'un homme qui ne pourra plus jamais se défendre.

Elle écope de vingt-huit ans.

Laura lui aurait mis deux balles dans la poitrine, une juste rétribution.

Elle éteint la télévision, balance la télécommande quelque part, respire.

Fin de l'histoire, fin d'une vie.

La sienne continue, vaille que vaille. 

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now