Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)

26. Contre-attaque (1/2)

Laura gagna Murmay en début d'après-midi, après une matinée à écrire sous la dictée d'un fantôme enthousiaste. Le spectre avait mille choses à raconter, mais il se montrait aussi indécis par moments, et aimait que la légiste intervienne pour l'aider à structurer sa pensée foisonnante. Il n'était peut-être qu'un reflet de ce que le psychiatre avait été de son vivant, mais Laura était stupéfaite de la complexité de son raisonnement et de l'étendue de son savoir. Elle n'était pas certaine que le vrai Jonathan aurait réfléchi ou écrit différemment.

En réalité, elle ne l'avait pas suffisamment connu pour en juger. Cela lui renvoyait une image de leur relation des plus déstabilisantes, car elle prenait conscience du peu de temps qu'ils avaient passé ensemble. Quelques heures par an, dix ans, même pas l'équivalent d'une journée entière au total. Comment pouvait-elle évaluer ce qui restait de lui dans cette créature ?

Peut-être que ça n'avait pas tant d'importance, dans le fond. Il paraissait motivé, apaisé, et elle le gardait à distance de Butterfly. Elle pouvait consacrer quelques heures à des considérations psychiatriques. Ce n'était pas inintéressant.

Une fois en ville, elle accompagna l'équipe criminalistique sur une scène de crime dans un restaurant du quartier économique, puis s'attaqua à une première autopsie, relut un rapport d'expertise pour le tribunal, bavarda un moment de ses vacances avec David à la cafétéria. La sensation qu'un poids lourd avait quitté ses épaules perdurait, malgré l'inévitable entité de Fernbridge, à laquelle elle devrait revenir tôt ou tard.

Elle avait hésité à interroger Jonathan à son sujet, mais elle avait l'impression qu'il n'avait qu'une notion floue de ce qu'il était. Elle n'imaginait pas qu'il sache comment dissiper un fantôme vengeur. D'autant qu'elle ne voulait pas le remettre en colère, ou même, elle devait l'admettre, le rendre triste. Il venait tout juste d'accepter ce qu'il était.

À la faveur d'un moment de relâche, elle se reconnecta au serveur de la Société et découvrit un nouveau message de Graham. Selon lui, Henry, l'étudiant extraverti de son cours, avait également un lien négatif avec Jason : il avait signé, avec le professeur Zafscav, un article qui avait été en grande partie écrit par Byatt. Mais comme Zafscav avait voulu étoffer le CV d'Henry à l'approche d'un concours de bourses, il avait emprunté son travail à Jason pour le refiler à son poulain. Pratique banale, concluait Graham. Laura plaça aussitôt Henry sur son début de liste des cibles à protéger.

Avant d'appeler Edward, elle consulta les dossiers d'autopsie des décès qui avaient eu lieu sur le campus mais n'étaient pas des professeurs. Trois étudiants, un technicien de laboratoire. Une overdose, une mauvaise chute sous influence, une dispute qui avait dégénéré, un AVC. Aucun des coeurs ne présentait de marques suspectes, bien qu'on ait effectué des massages cardiaques vigoureux sur la première et la dernière victimes. L'overdose et l'AVC étaient antérieurs à Zaffy, la chute sous influence et la dispute postérieures.

Elle ferma précautionneusement la porte de son bureau puis hésita.

Même si elle identifiait une liste de victimes potentielles, qu'en faire ? Si elle la communiquait à la police, celle-ci ne risquait-elle pas d'exposer des hommes, gardes du corps et agents de sécurité, à un danger qu'ils ne pouvaient affronter ? Le fantôme se contenterait-il de massacrer ses cibles, ou éliminerait-il tous ceux qui s'interposaient ? Selon Ubis, s'opposer à l'entité présentait un risque sérieux. Bien sûr, c'était un menteur patenté. Il avait pu dire ça pour l'enjoindre à laisser la fameuse nature suivre son cours, ne pas perturber l'ordre immuable des choses. Mais Jonathan était revenu pour ses patients et il l'avait pourtant touchée elle, témoin extérieur de son errance. Elle y avait survécu, mais il n'y avait mis aucune intention meurtrière. Qu'en aurait-il été s'il avait décidé de la tuer ?