4. Visite macabre à Butterfly

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Samedi à domicile, Laura en profita pour faire un peu de ménage et caresser le chat. L'animal était heureusement peu rancunier pour autant que son bol de croquettes ne désemplisse pas. Laura avait investi dans un distributeur automatique et elle savait qu'en cas de pépin, son voisin, un ancien garde-chasse veuf, se ferait un plaisir de nourrir la bête, comme il l'avait fait quand elle était à New Tren. Le temps était magnifique et elle se promena un peu dans la campagne, consciente qu'elle manquait d'exercice.

Quand elle allait encore régulièrement dans les bureaux de la Société, elle profitait parfois de la salle de sport, et elle avait l'habitude de fréquenter l'un ou l'autre stage en cours d'année, mais depuis qu'on n'avait plus besoin d'elle, elle s'était relâchée, petit à petit. A quoi bon se faire suer s'il n'y a plus jamais de course-poursuite ?

Elle devait passer dans son bureau le lundi, pour récupérer le briefing de Kathleen avant d'aller à New Tren, et elle se promit d'y consulter le tableau d'affichage pour y dénicher quelque chose. Elle avait l'impression d'avoir pris un peu de ventre et d'être plus rapidement fatiguée lorsqu'elle montait les escaliers.

Elle finit par s'asseoir sur un banc vermoulu, face à l'été qui jaunissait les champs. Un nombre incalculable d'insectes bourdonnaient dans l'air tiède et elle songea un instant à la thèse de Ryan sur la manière dont certaines espèces invasives de mouches, en particulier une créature dégoutante nommée sarcophaga solaria, avaient modifié leurs méthodes de datation des décès à Murmay sur les trois dernières années.

De Ryan et son travail, elle songea au gala de la veille et à Ubis. Elle l'avait éconduit, fermement, mais elle n'en serait jamais débarrassée. Même s'il gardait ses distances, s'il ne cherchait plus jamais à la revoir, il resterait présent dans son esprit. Elle avait songé à lui chaque jour, parfois quelques secondes, parfois des heures, bien plus qu'à Michaël, Aaron ou même Sam, malgré ce que ce dernier lui avait fait.

Elle caressa le bois du banc de la paume, rêche et usé, et l'image de Jonathan s'imposa à son esprit. Elle n'était toujours pas allée sur sa tombe. Elle avait l'impression que c'était trop tard. Tout avait toujours été trop tard, avec lui.

Foutues journées d'oisiveté. Cela ne lui avait jamais réussi.

Elle quitta le banc. Une chance que son père ait été alcoolique, cela l'avait vaccinée. Elle décida de retourner à Murmay, à la morgue, histoire de tromper l'ennui et toutes ces ruminations insupportables.


Le bip de garde sonna vers une heure du matin, alors qu'elle relisait un rapport de contre-expertise sur lequel Don lui avait demandé son avis.

— Woodward, annonça-t-elle.

— Bonsoir docteur, Irène du dispatching. Mort violente à Butterfly. Un suicide plus que probablement, mais il faut faire le constat d'usage.

— Bien sûr. Je suis sur place dans quinze minutes.

— Je transmets. Bonne nuit.

Laura se leva et s'étira. Butterfly. Décidément, c'était son jour.


L'hôpital psychiatrique se situait dans la périphérie sud de la ville, dans son parc aux motifs géométriques dissimulé par de grands murs aveugles. Bien qu'il soit tard, les rues débordaient d'animation, un samedi soir estival à Murmay, et elle fit un détour pour éviter les quartiers les plus festifs, en habituée de la métropole.

Elle n'était pas retournée à Butterfly depuis de la mort de Jonathan. Elle connaissait l'établissement, bien sûr, car les malades mentaux se donnaient la mort plus souvent que la population générale. Les procédures exigeaient souvent qu'un médecin extérieur se penche sur les décès, histoire d'exonérer les soignants.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant