1. Train-train sanglant (1/2)

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Un aria électronique dans les ténèbres, tonitruant à l'oreille, une main qui s'arrache aux profondeurs de la nuit, tâtonne, saisit le petit rectangle de métal rouge, pousse la touche critique.

— Allo ?

— Laura, désolé, je sais que tu n'es pas de garde, mais on a les mains pleines, Greg et moi, annonça, lointaine, la voix de Donald Terrence, médecin légiste, son voisin de bureau.

Laura se redressa dans son lit, cherchant l'interrupteur de la lampe de chevet. Dérangé, le chat se leva avec plus d'énergie et sauta sur le sol en pestant. 

 Lumière jaune sur la chambre en désordre, aucune révélation.

— Je dois aller où ?

Le réveil digital affichait 3h37 en lettres bleues. Laura n'était plus tout à fait certaine de l'heure à laquelle elle était allée se coucher ; « trop tard » était sans doute une bonne approximation. Mais il arrivait des coups de feu, des nuits rouges comme ils les appelaient entre eux, où chacun était prié de laisser tout tomber pour aller au cadavre.

— Tu as le choix entre le Tren et l'université.

— Je prends l'université. Le Tren... Je ne veux plus en entendre parler avant... je sais pas quand.

— Je m'en doutais. Bon, mais je t'envoie les coordonnées par texto. On se retrouve pour le café.

— C'est ça. Bonne nuit.


Une certaine routine avait repris. Bancale, agitée, finalement sans heurts excessifs. A la morgue centrale de Murmay, personne n'avait paru très surpris de voir revenir Laura. Spécialiste des missions de courte durée, du tourisme mortuaire, des raids éclairs ici ou là, elle réintégrait toujours leurs rangs. Ses collègues avaient appris à la voir entrer et sortir sans s'en formaliser. Dans le fond, qu'elle soit si mobile les arrangeait bien : ils avaient l'impression d'avoir une représentante attitrée, quelqu'un pour aller donner un coup de main là où c'était nécessaire, sous la bannière de l'équipe. Que les véritables raisons derrière ses déplacements n'aient rien à voir avec le travail ordinaire d'un médecin légiste, ils n'en savaient rien et Laura n'avait pas la latitude de les en informer. Au final, chacun y trouvait son compte : ils étaient tranquilles et elle avait un foyer, aussi morbide soit-il, où elle pouvait toujours rentrer, retrouver son bureau, ses habitudes, la cafétéria et les mêmes têtes, sombres mais sympathiques, pour l'y accueillir.

C'était le mois de juillet, un été curieusement humide, et il faisait noir lorsque Laura quitta sa petite maison pour gagner l'ancienne grange qui lui servait de garage. Elle ouvrit les vantaux et se glissa derrière le volant de sa voiture, une citadine hybride qui sentait encore le neuf. Sa vieille Allemande avait rendu l'âme au début du printemps, après des mois de crachotements lugubres et de pétarades de brumes mortelles.

Quelques minutes plus tard, dans un bruissement discret, Laura rejoignait la route principale et peu après, l'autoroute, direction Murmay. Elle vivait à une vingtaine de minutes de la capitale, dans un coin peu couru, et les voies d'accès vers la cité étaient peu fréquentées en pleine nuit. Il se mit bien sûr à pleuvoir, un de ces crachins serrés, soi-disant estivaux, presque toujours orageux. Laura connaissait le chemin par cœur. 

L'université de Fernbridge se trouvait dans les faubourgs, à l'ouest de la ville, et elle s'engagea bientôt sur le large périphérique qui contournait Murmay, rencontrant ses premiers semblables, une ambulance lancée à pleine vitesse, des navetteurs précoces, des noctambules sur le retour, quelques errants. Mécaniquement, elle alluma la radio, y lia son téléphone et écouta un peu de musique contemporaine, une playlist que lui avait concoctée Greg, toujours désireux de la maintenir en prise avec le monde. Elle n'en pensait rien, cherchant Fernbridge des yeux.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now