26. Contre-attaque (2/2)

38 7 49
                                    

Quand Laura arriva à destination, le fantôme ne se montra pas. Elle crut l'apercevoir au dehors, tache lumineuse entre les arbres, mais il n'apparut pas dans la maison et elle passa une nuit tranquille.

Le matin, elle resta disponible, attablée dans la cuisine, le portable ouvert devant elle, mais Jonathan ne survint pas davantage. Elle se demanda si le simple fait d'avoir entamé son ouvrage avait suffi à l'apaiser et en ressentit une curieuse pointe de regret. Même s'il n'était qu'un reflet, elle aurait aimé lui dire au revoir.

Elle ne manquait pas de travail, cependant, et, avec l'aide d'Edward, elle finalisa le memo destiné à la police. Ils rajoutèrent trois noms sur la liste, que l'archiviste avait pêchés dans la boîte email, demeurèrent flous sur les causes de leur intervention. Recommandèrent, dans un premier temps, le confinement à domicile. Une solution tout à fait insatisfaisante, bien sûr, mais au moins, Laura savait où aller placer ses sceaux. Il fallait juste qu'elle trouve le temps et la sauge.


Arrivée en avance à Fernbridge, elle se mêla à nouveau aux professeurs pour le lunch. La conversation s'attarda longtemps sur la rentrée prochaine, les nouveaux programmes, l'explosion du nombre d'étudiants en sciences humaines et le manque de cadre, lié au manque de moyens, lié à la difficulté de monétiser leurs savoirs. Même bien reposée, la légiste faillit s'endormir.

Puis, en fin de repas, survint l'information imprévue : un assistant de statistiques avait eu un accident dans la matinée. Il s'en était bien sorti, cependant, juste une commotion et quelques côtes cassées : il avait trébuché sur une marche en sortant de la salle de squash. Laura demeura impassible mais ressentit un mélange de jubilation et de terreur. L'assistant en question était dans la liste qu'elle avait envoyée une heure plus tôt à la police. Le fait qu'il ait survécu à l'agression de l'entité était un bon signe – Allan avait prévu que la créature deviendrait de moins en moins efficace – mais on ne pouvait pas prendre de risques : à force de bousculer les gens, elle finirait par tuer quelqu'un.

Plus tard, quand Laura entra dans la salle de cours, elle constata, avec un peu d'agacement, qu'Henry était présent. Elle avait espéré que les autorités agiraient rapidement pour mettre les cibles potentielles en sécurité, mais en même temps, elle connaissait la célèbre inertie de ces services, et la manière dont une information, même critique, percolait à vitesse d'escargot d'une personne à une autre, parfois via des voies obsolètes, un coup de fil, un mémo écrit, l'opportunité d'une rencontre. Enfin, sous ses yeux, Henry était moins à risque. S'il lui arrivait un brusque pépin, ils seraient vingt pour lui porter secours et jusque-là, l'entité n'avait jamais agi dans la lumière. Sans doute la police le cueillerait-elle dès qu'il quitterait l'auditoire.

C'était jour de présentation et les étudiants se succédèrent, en solo ou par groupes de deux ou trois, pour exposer le fruit de leurs recherches. Laura laissait ensuite les autres poser leurs questions ou critiquer le résultat de leur enquête, puis elle intervenait en quelques diapositives pour révéler les secrets officiels de chaque cadavre.

Dans l'ensemble, ils avaient tous bien travaillé, mais les dossiers réels renfermaient quelques coups de théâtre qui lui permirent d'attirer leur attention sur les dangers de ne se fier qu'à l'autopsie, ou qu'aux résultats toxicologiques, ou qu'au récit bancal des témoins. Ils ressortirent avec une compréhension plus fine de l'interdisciplinarité de leur travail — du moins elle l'espérait — et de la nécessaire pierre que chacun apportait à l'édifice. Elle leur souhaita bonne chance pour la dernière étape, l'examen de la semaine suivante, qu'elle devait encore rédiger intégralement.

Certains s'attardèrent pour quelques ultimes questions, lui demandèrent s'ils pouvaient encore lui envoyer des emails, et même pour la remercier. Henry l'interrogea sur ses intentions pour l'année suivante, reviendrait-elle donner cours ? Envisagerait-elle d'encadrer une thèse ? En co-direction ? Laura s'en dégagea d'imprécisions successives, mal à l'aise, consciente qu'elle avait inscrit le nom de ce garçon sur une liste sinistre et qu'il n'avait rien à faire là. Elle finit par lui offrir un « peut-être, pourquoi pas » qui sembla le satisfaire et il s'esquiva. La légiste le surveilla du regard tandis qu'il rejoignait un groupe d'attardés avec lesquels il avait finalement consenti – petit miracle – à frayer. Où diable était la police ?

Elle rangea ses affaires tandis qu'ils sortaient en bavardant. L'auditoire, sombre et ancien, lui paraissait plus agréable que le premier jour, elle avait pris un certain plaisir à y enseigner. Plus simple que prévu, au final. Sans doute que tous les soucis qu'elle avait par ailleurs lui avaient permis d'éteindre un stress futile : il y avait pire et plus complexe que d'affronter une poignée d'étudiants.

Les portes s'ouvrirent alors sur Helen Melville, l'air un peu fatigué, dans un tailleur estival d'une couleur non adaptée à un boulot crasseux.

— Hello ! lança-t-elle en descendant les marches de l'amphithéâtre.

Laura rangea son ordinateur portable dans sa housse.

— Bonjour. J'espère que ta présence ici n'est pas de mauvais augure.

L'inspectrice haussa les épaules, la mine incertaine.

— Je viens embarquer un de tes étudiants. Pas suspect, je te rassure. Mais peut-être cible potentielle. Bah, je ne peux rien te dire et je n'en sais pas grand-chose, j'ai juste été gentiment informée... sommée... de le mettre en sécurité.

Laura la rejoignit.

— Société ?

— Ouais. Je savais bien qu'ils travaillaient sur le cas. Apparemment, ils ont des suspicions. Alors je dois dégager un certain nombre de personnes. C'est pas mon job, cela dit, c'est Lolly du Service de Protection qui s'en occupe. Mais je viens jeter un œil, vu que c'est mon enquête.

Laura faillit mentionner la chute de l'assistant mais s'abstint.

— Plus rien ces temps-ci ?

— Rien de probant. Il a peut-être juste assassiné Zaffy puis il s'est enfui... mais voilà... Tant qu'on ne l'a pas trouvé, on va le chercher. Jusqu'à Dunnes ou Bryne. Jusqu'en Mongolie.

— Bien sûr.

Jusqu'à ce que l'affaire soit classée sans suite, en réalité.

Laura accompagna l'inspectrice vers l'extérieur. Le contraste entre l'obscurité de l'auditoire et le soleil étincelant l'aveugla et elle resta un moment immobile, éblouie. Helen, bien sûr, avait des lunettes noires, toujours prête à s'adapter. La légiste chercha une voiture de police du regard et Henry, les yeux plissés, mais elle ne vit rien de suspect. Son étudiant s'était déjà volatilisé.

— Comment va Andrew ? demanda Laura. J'ai appris qu'il s'était foulé une cheville ?

Helen la dévisagea avec un sourire un peu hilare.

— Tu sais ça, toi ? C'est vrai. Et ça va, sauf qu'il est plâtré et d'humeur monstrueuse. Tu sais comme sont les hommes, dès qu'ils ont un petit bobo.

Malgré son célibat chronique, Laura avait quelques collègues en tête.

— Le bonheur.

L'inspectrice rit mais lui jeta aussi un petit regard que Laura aurait juré être sarcastique, même si le verre fumé des lunettes l'empêchait d'en juger. Elle ne savait pas bien pourquoi elle avait posé cette question, sans doute pour changer de sujet, mais Helen n'était pas dupe : ce n'était pas son genre, de retenir et de s'intéresser à ce genre de trivialités. Les petites aventures privées des uns et des autres s'échappaient de son esprit aussi vite qu'elles y étaient entrées.

Les deux jeunes femmes se saluèrent une fois arrivées à la rue. Laura n'avait pas besoin de l'interroger plus avant : tout ce dont elle avait besoin serait disponible via des canaux détournés.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now