18. Assaisonnement (2/2)

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Alors qu'elle quittait les lieux, Laura succomba à une impulsion soudaine. Plutôt que de gagner l'ascenseur, elle bifurqua dans le couloir qui abritait les bureaux des médecins. L'avant-veille, lorsqu'elle avait rencontré Thornberg, elle avait noté que la porte voisine portait toujours une plaque au nom de Jonathan. Signe trompeur ou marque de respect, Laura voulait soudain s'en assurer.

La poignée s'inclina sous sa paume, la porte s'ouvrit et elle entra rapidement dans la pièce. L'idée d'avoir été filmée par les caméras de surveillance l'effleura puis s'éteignit comme elle contemplait le néant. 

Plus personne n'occupait plus les lieux. 

Les étagères s'échelonnaient, vides. Le bureau trônait, immense, sans le moindre papier, le moindre ordinateur, un stylo ou un livre. Une armoire béante s'ouvrait sur les ténèbres. Le tableau d'affichage, la poubelle, le porte-manteau, soulignaient l'absence de celui qui les avait utilisés. L'horloge murale s'était arrêtée. 

Aucune poussière. Une fenêtre entrouverte. Le service d'entretien continuait à visiter cet endroit délaissé.

Laura attendit une seconde, mi-déçue, mi-soulagée, puis se morigéna pour ce détour stupide. Qu'avait-elle espéré, au juste ? Découvrir une chambre d'adolescent intacte, protégée par des parents en deuil ? Dénicher le fantôme, assis à sa table de travail, et faire un brin de causette ? Percer un secret, lever un coin du voile, une petite fenêtre sur une intimité dont elle ne savait rien ? 

Non. Le bureau était exactement comme il devait être : vide. Jonathan était mort. 

— Je suis désolée, murmura-t-elle quand même à mi-voix. Je suis obligée de le faire. Je sais que tu ferais la même chose, dans ma situation.

Elle pressa de deux doigts au coin de ses yeux pour empêcher toute émotion malvenue, s'insulta mentalement une fois de plus, et quitta la pièce.


Au dehors, le soleil régnait toujours en maître et il y avait suffisamment de monde dans le parc pour que la présence d'une promeneuse supplémentaire n'attire pas l'attention. Laura couvrit néanmoins ses arrières en demandant à l'infirmière de l'accueil si elle pouvait se balader pour profiter de la beauté des lieux. La jeune femme parut surprise de sa requête mais y accéda : Laura avait un badge d'accès de haut niveau, du genre qui peut tout se permettre. Elle promit d'être sortie avant la nuit. 

Munie de ce laissez-passer officieux, la légiste commença son parcours. Elle n'avait pas osé consulter les plans de Butterfly disponibles sur le serveur de la Société, certaine qu'elle serait repérée par un système informatique indiscret, et devait donc se fier à ce qu'elle avait glané sur Internet. 

Vu du ciel, l'hôpital formait une sorte de H déformé, et le parc l'encerclait, jusqu'au mur d'enceinte. Des sentiers le striaient dans tous les sens, mais Laura n'était pas certaine que l'un d'entre eux faisait complètement la boucle autour du bâtiment car les images satellites pâtissaient du couvert d'arbres. Il fallait qu'elle espère et au pire, elle piétinerait l'une ou l'autre platebande. 

Créer tout un périmètre de sel n'était pas possible : cela en demandait beaucoup trop, et de toute façon, à l'extérieur, la pluie ou les passants auraient tôt fait de le détruire. De plus, le sel risquait d'emprisonner le fantôme à l'intérieur du cercle, ce qui était le contraire de son objectif. Mais elle avait trouvé d'autres méthodes, hybrides, et elle s'immobilisa une première fois, laissant glisser hors de sa main un petit filet de sel mêlé à de la sauge séchée, entre deux cailloux d'une rocaille, à l'abri. Puis elle pinça les lèvres, consciente du caractère absurde de la situation, mais aussi de la démesure du réel.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now