8. Entre détectives

31 7 41
                                    

Le groupe était composé de dix-huit anonymes, cachés derrière leurs écrans de portable ouverts, tapotant sans discontinuer, de deux touristes, de Graham, d'une grande gueule et d'un premier de classe.

Les touristes étaient assis au fond de l'auditoire – un gars, une fille – et passaient leur temps sur leur téléphone, à jouer des pouces, en esquissant parfois un sourire ou une grimace. Passionnantes choses en ligne, à n'en pas douter. 

Graham était installé au milieu d'un groupe de dactylos et les imitait de son mieux, même s'il avait l'air un peu décontenancé par leur rythme effréné. Aux pauses, il bavardait avec les uns et les autres, détendu, un peu charmeur, un gamin de la campagne, extraverti comme il faut, bientôt parfaitement intégré. 

La grande gueule était un jeune gars aux lunettes rondes, mince, vêtu d'une chemise à rayures impeccablement repassée. Il écoutait sans prendre note, le crayon appuyé sur les lèvres, et posait sans cesse des questions. Pertinentes, pour la plupart. Documentées, aussi. Laura se demanda d'abord ce qu'il faisait là et s'il allait la lâcher, puis se prit insidieusement au jeu. Elle avait les épaules pour le contrer, mais il fallait aussi qu'elle s'en tienne à son programme. 

Le premier de classe, un gamin qui paraissait trop jeune pour être là, aux cheveux paille décoiffés et au tee-shirt de baseball, posait aussi beaucoup de questions, mais de ces questions inquiètes qui reflètent une anxiété dévorante, celle d'échouer. Laura fit de son mieux pour le rassurer, sans y parvenir parfaitement, et ce qu'elle avait trouvé touchant au départ finit par la rendre folle. Elle accueillit la fin du cours avec soulagement.

Evidemment, la grande gueule et le premier de classe vinrent la voir au moment où les autres quittaient l'auditoire. Elle s'efforça de leur accorder à chacun un peu de temps. Oui, l'opus du docteur Fromm sur les scènes de crime était un excellent bouquin ; non, il n'était pas nécessaire de retenir le nom de tous les insectes qu'elle avait cités. Elle se demandait comment elle allait bien pouvoir s'en dépêtrer lorsqu'elle reçut l'aide inopinée de l'inspecteur Melville. L'inspectrice surgit soudain en haut des marches et lui fit signe de la main. 

— Messieurs, je suis attendue.

Les deux étudiants dévisagèrent la nouvelle venue, qui leur présenta son badge d'un geste théâtral. Si le jeunot s'esquiva sans demander son reste, Laura devina que son aîné n'aurait pas détesté s'attarder. Il eut néanmoins la politesse de sortir, à son aise.

— Tu me sauves, fit Laura dans un soupir.

— Tu as du succès, dis donc.

— Auprès des enfants, formidable.

— Ils ont au moins vingt ans. Tu as le temps pour un café ?

Laura éteignit son portable et replia les câbles.

— Ça dépend pour quel café.

Helen rit joyeusement et s'assit sur le bureau.

— Pas celui d'ici, si c'est ce qui t'inquiète. Je sors d'une série d'interviews... Je retourne en ville. Je peux te donner un lift vers le centre, si tu veux.

— J'ai ma voiture.

— Alors c'est toi qui me donneras le lift.

L'inspectrice sortit son téléphone et pianota une seconde.

— Voilà qui est fait. Je discuterais bien avec toi de Zaffy. Je te promets de te laisser rentrer avant la nuit.

— En cette saison, ce n'est pas très rassurant, s'exclama Laura tout en l'accompagnant vers la sortie, la mallette sous le bras.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now