18. Assaisonnement (1/2)

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Consciente qu'elle ne pouvait pas se présenter à Butterfly dès huit heures du matin, Laura gara sa voiture sous les platanes dans une rue adjacente, et décida d'y végéter un moment. Après une tentative frustrante de lire un article dont les lettres floues dansaient devant ses yeux, elle téléchargea un jeu stupide qui la tint en haleine pendant sept minutes, avant de renoncer. Elle songea à aller marcher au dehors, mais elle souffrait des mille courbatures du manque de sommeil conjuguées au tambourinement cardiaque d'un combo caféine/taurine mal inspiré. Au final, il était sans doute plus prudent de rester les fesses dans son siège. Elle finit par mettre la radio, s'agaça d'un débat politique inepte, chercha de la musique, se désola de tout, se replia sur la playlist de Greg et ferma les yeux.

Pour émerger brutalement à 11h54, au doux son d'un klaxon furieux.

— Merde, souffla-t-elle.

Le vacarme ne la concernait pas mais bien un groupe de pigeons réticents à céder la priorité. Mal réveillée, Laura baissa son pare-soleil pour observer sa mine de déterrée dans le petit miroir. Pas glorieux. Elle se demanda combien de promeneurs l'avaient observée, assoupie dans sa voiture. Elle avait de la chance que personne n'ait appelé les flics, vu le quartier.

J'étais de garde, songea-t-elle. Voilà l'excuse. J'ai oublié un truc critique dans un dossier. C'est la dernière fois, promis. Je ne reviendrai plus jamais, jamais, jamais. 

Vu l'heure et son état de fébrilité, elle décida de s'offrir un lunch rapide avant d'affronter la suite de son programme. Faire un nouveau malaise était hors de question et son organisme criait famine.


Elle se présenta finalement à Butterfly en début d'après-midi, avec son sauf-conduit habituel et son excuse, formulée préalablement par téléphone, acceptée sans problèmes par le médecin de garde. Elle s'inquiétait d'une suspicion que les gens de Butterfly ne partageaient pas. Le docteur Hornet était sans doute le seul des psychiatres actuels à savoir que Laura avait connu Jonathan. Bref, c'était dimanche. Il y avait beaucoup de familles en visite et donc pas mal de personnel dans l'hôpital pour gérer cet afflux, elle passerait inaperçue.

Laura se gara cette fois dans l'enceinte, sur le parking visiteur, puis se dirigea vers l'entrée. Elle repéra la silhouette de Diane, l'éducatrice artistique, un peu plus loin dans le hall et attendit qu'elle disparaisse au détour d'un couloir avant de continuer sa route. Elle était fichue de prévenir Hornet qu'elle l'avait croisée. En même temps, à qui Hornet en aurait-il parlé ? Potentiellement à Gareth. Hors de question.

Entre deux autopsies, la veille, Laura avait terminé de planifier son intervention. Bannir un fantôme n'était pas chose aisée, et beaucoup de méthodes reposaient sur la prière ou l'intervention d'un prêtre. Mais de ce qu'elle avait lu entre les lignes, Laura comprenait qu'il s'agissait alors d'esprits malins, de démons qui n'avaient pas pris forme, et Jonathan n'était rien de ce genre. 

De son vivant, il n'avait pas été chrétien, même si on le surnommait parfois « le saint » dans la presse. Laura n'avait aucune raison de penser qu'il soit sensible, même mort, à ce type de spiritualité. Elle s'était donc rabattue sur des méthodes païennes et ancestrales, une espèce de sorcellerie qui lui paraissait complètement ridicule, mais en laquelle, paradoxalement, elle avait davantage confiance. Elle s'était arrêtée à un night shop, sur la route de Murmay, pour y acheter deux kilos de sel. Dénicher de la sauge avait été un rien plus compliqué.

Bannir Jonathan de son étage aurait pu être une solution, mais il avait sévi ailleurs dans l'hôpital, du moins Laura le suspectait-elle, aussi devait-elle lui interdire l'intégralité des lieux. De surcroît, il fallait que les sceaux ne disparaissent pas au premier coup de serpillère, chose complexe dans un endroit aussi aseptisé que l'asile. Laura avait donc décidé de travailler dans le parc, en traçant un périmètre assez large autour du bâtiment. S'y promener sans attirer l'attention ne serait pas évident, et elle avait annoncé sa venue, aussi commença-t-elle par faire un tour au troisième. Elle se sentait mal à l'aise, non pas parce qu'elle s'introduisait dans les lieux sans raison valable, mais parce qu'elle craignait de croiser Jonathan. Elle s'apprêtait à le chasser de l'endroit qui avait été son foyer, son credo, sa raison d'être. 

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now