12. Garder le cap (2/2)

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L'auditoire ne s'était pas dépeuplé, ce que Laura prit comme une victoire : elle n'avait pas fait fuir ses vingt-trois étudiants. Graham paraissait désormais parfaitement intégré, bavardant avec ses nouveaux amis — surtout des filles, en fait — tandis que le médecin légiste installait son matériel et ses multiples câbles. Le crâneur – Henry – était assis seul et compulsait son smartphone en grignotant son crayon. Les touristes étaient aussi loin que la première fois, déjà en grande conversation. Le premier de classe, trop timide pour se présenter, l'observait avec des yeux avides, des questions au bord des lèvres, mais n'osant pas faire le premier pas. Elle évita soigneusement son regard.

Tout en déballant sa matière, elle réalisa que si elle voulait réellement remplir la mission que Lafferty lui avait confiée, elle allait devoir s'attarder davantage à la faculté. Fréquenter les réunions, la cafétéria, les couloirs, la bibliothèque. Cela lui paraissait une perte de temps phénoménale, compte tenu de ce qui se passait à Butterfly, mais il était impensable d'aller demander à son chef un changement d'affectation. Il ne comprendrait pas pourquoi, elle ne pourrait pas le lui expliquer, c'était peine perdue et même dangereux, compte tenu de son échec à New Tren.

Elle resta donc à Fernbridge tout l'après-midi, mangea entourée d'autres professeurs, qui discutèrent de sujets transcendants : promotions internes, concurrence déloyale avec l'institut des sciences criminelles de Saffron, qui bénéficiait apparemment des largesses d'un mécène privé, nombre d'étudiants sans cesse grandissant et leur niveau qui, bien sûr, était de plus en plus abyssal. Après sa nuit blanche, contenir ses bâillements nécessita une concentration de tous les instants.

Il se trouvait là deux hommes, trois femmes, quatre jeunes pour un ancien, les académiques en milieu de carrière se trouvant toujours de bonnes excuses pour éviter ce genre de cours de rattrapage (la plupart étaient sans doute en vacances, en réalité). La question du meurtre de Zafscav ne fut pas abordée, mais en fin de repas, ils abordèrent soudain le suicide du pénaliste, Perssen. Il y avait apparemment eu une altercation, publique, entre l'épouse de l'avocat et une post-doc, la première accusant la seconde d'avoir poussé son mari au suicide. La tablée au complet pensait qu'elle faisait référence à une plainte déposée par la chercheuse auprès des autorités académiques, mais Rachel Curran – une vieille dame digne qui donnait cours sur le droit de l'exécution des peines – leur apprit que la réclamation avait été déboutée durant les conseils du mois de juin et que Perssen le savait très bien. 

Laura se fit une note mentale du nom de la chercheuse spoliée — Anja Verborg — tout en écoutant la suite de la conversation. Steve Galton, le jeune prof de psychologie criminelle, pensait que c'était un accident, envers et contre tout. Perssen était porté sur la bouteille, son équilibre n'était pas toujours des plus sûrs, et il avait dû passer par la fenêtre. Laura savait qu'il n'avait pas un milligramme d'éthanol dans le sang, mais elle n'en dit rien. Mary Wayne, la sociologue de la déviance, était persuadée qu'on l'avait poussé. Ils y allèrent tous de leurs théories multiples, pendant un moment, et Laura les observa les uns après les autres sans rien déceler de suspect. Aucun d'entre eux n'avait été un collègue direct de Perrsen, sinon Rachel Curran, mais elle était de plusieurs années son aînée et n'avait jamais travaillé avec lui. Elle semblait en savoir long sur les petits ragots du couloir légal, cependant, et Laura se promit de manger avec elle, à nouveau, dès que l'occasion s'en présenterait. 

Après le lunch, Laura monta à la bibliothèque pour y installer son portable à l'abri d'une étagère bien fournie en gros volumes peu usités, mais jouissant d'une vue diagonale parfaite sur la table principale et sur les allers et venues. En ouvrant son poste, elle eut la surprise d'y découvrir trois messages émanant des étudiants qu'elle venait tout juste de quitter. 

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now