43. Encore debout

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Laura ne se souvenait pas d'avoir acheté autant de citrons mais, d'une manière ou d'une autre, son médecin personnel y avait pourvu. Après un nouveau jus acide, toujours un peu flageolante, elle appela Gareth Conway.

Elle s'excusa de l'avoir abandonné, il lui demanda si elle allait bien, et contre toute attente, sans l'avoir décidé, elle lui révéla que l'incendie avait coûté la vie à une inspectrice de police qu'elle appréciait, que le choc l'avait bouleversée, qu'elle se sentait responsable, à cause de la liste qu'elle avait fournie aux autorités. Elle n'en dit pas davantage, ne mentionna pas son raid dément jusqu'à Trespan, Jonathan, l'Ybsrydial, la mort frôlée, évitée de justesse, le dieu égyptien dans son salon. Gareth lui demanda si elle avait besoin de compagnie, ne s'offusqua pas de sa dérobade – car elle se déroba, bien sûr–, ne força rien, lui proposa qu'ils mangent ensemble un soir, si elle s'en sentait l'énergie. Il avait prévu de repartir au début de la semaine suivante, dès qu'il aurait mis ses quelques affaires en ordre, et bouclé les dossiers. Elle accepta, tout en l'avertissant qu'elle pourrait changer d'avis, et là aussi, il se montra compréhensif.

Elle ne rappela pas Duncan. Elle n'avait pas envie de lui parler, de se farcir ses fausses excuses et son souci à quatre sous. Lloyd savait qu'elle allait bien, cela devait suffire.

Restait le problème de la fameuse liste, de la réunion qu'elle avait évitée.

Henry était bien arrivé à Bryne, vivait toujours, avait quitté les soins intensifs.

Renata Wortman avait regagné ses pénates.

Sur les six noms du Remontrant, tout le monde avait survécu même si Henry avait souffert. Sur ceux de la première liste, seul le statisticien était mort. Les dégâts collatéraux s'élevaient à cinq individus : deux policiers spécialisés dans la protection des témoins, deux étudiants asphyxiés, une inspectrice de police.

Un accident. Le feu avait pris dans ce boîtier vétuste, un court-circuit provoqué par la pluie, une surtension, la canicule des derniers jours, les pompiers n'avaient aucune raison d'y chercher autre chose. Le statisticien avait trébuché sur ses lacets, l'escrimeur aviné s'était penché par-dessus la rambarde de son balcon, l'entomologiste avait fait une crise cardiaque, l'ingénieur avait dérapé sur la chaussée.

Il restait Zaffy. L'homme assassiné à coups de clavier, la victime initiale, un cas qui reparaîtrait encore et encore dans les émissions de crimes irrésolus, sans que jamais, personne ne puisse l'élucider. Il y en avait d'autres. Les gens finiraient par accepter.

Connectée à son ordinateur, elle ouvrit le dossier confidentiel et justifia sa liste sans parler d'Aaron, du Remontrant, expliqua qu'en étudiant les différents morts du campus pendant l'été, Jason Byatt avait été le seul point commun tangible entre une partie d'entre eux, qu'elle avait cherché de la logique là où il n'y en avait sans doute pas, mais que l'insistance des autorités universitaires et l'angoisse qui régnaient dans les couloirs de la faculté avaient participé à la genèse de cette illusion, que son opinion était désormais qu'il n'y avait pas de lien, juste le hasard, que la liste était partie d'un principe de précaution en attendant de s'assurer qu'il n'y avait vraiment personne. Qu'elle était navrée pour cette erreur de jugement.

Tout en rédigeant son memo, Laura songea à la possibilité qu'on ait déjà fouillé son historique de recherche. Les procédures pour investiguer un agent étaient complexes, nécessitaient des autorisations qu'on n'obtenait pas aisément, mais elle savait aussi que depuis New Tren, elle devait figurer sur une liste rouge, d'éléments à surveiller. Elle aviserait. Rattraper le coup lui paraissait à la fois impossible et inutile. Elle n'avait pas l'énergie de s'y consacrer.

Quant à la personne qui avait invoqué l'Ysbrydial... Tant pis. La cousine, soeur, tante, amie de Jason ignorait probablement tout du désastre qu'elle avait provoqué. Les Remontrants hérissaient les tombes dunnites comme des boules sur un sapin de Noël, plus traditionnels que maléfiques, reflets de traditions vivaces. Et de toute façon, Allan lui avait demandé – non, avait exigé – qu'elle garde ses distances. Elle ne pouvait, au lendemain de son sauvetage, enfreindre ses conseils. Il avait eu raison, elle avait eu tort. L'affaire était close.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now