1. Train-train sanglant (2/2)

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Deux heures plus tard, elle posait enfin les fesses sur une chaise dans la cafétéria de la morgue centrale. Don lui catapulta une tasse de café qu'elle arrêta d'une main précise sans que la moindre goutte ne soit renversée. Le microcosme des lieux était quasi au complet, Don près du percolateur, Rupert et Greg dans les fauteuils, Ryan et Suzy autour du frigo, Giulia penchée sur son agenda. Il manquait leur chef, David, mais il était en vacances pour encore une semaine.

— Alors ? demanda Greg.

— Rien de notable, répondit Laura.

— Ça tombe bien parce que j'ai besoin d'aide sur les miens.

— Les tiens ? Combien ?

— Sept. Un drame familial, de ce que j'ai compris. Urgent.

— Meurtre-suicide ?

— Ça en a l'air.

Laura acquiesça. Donner un coup de main au voisin était ordinaire. Zafscav n'était pas prioritaire.

— Dites, les gars, vous vous souvenez que demain soir, c'est la soirée annuelle de la société de légale ? intervint Don, la cinquantaine, sec et énergique comme trente ans plus tôt.

Un concert de jurons, plus ou moins imagés, accueillit sa question.

— Moi je voulais y aller, dit Suzy, le sourire encourageant.

— C'est indispensable. Ryan aussi.

Le second assistant hocha la tête, dépliant son mètre nonante pour aller le poser dans une chaise, un yaourt à la main.

— Mais on ne peut pas envoyer que les juniors, poursuivit Don. Ce ne serait pas correct. David est absent, de toute façon, donc... C'est normalement le tour de Laura et Rupert. Si on garde notre alternance habituelle.

— Soit, dit Rupert, rarement prolixe.

— Soit, répéta Laura, moins enchantée mais peu désireuse d'en faire tout un foin.

Donald hocha la tête.

— Mais l'année prochaine, nous ne pourrons plus nous débiner. Cela fait deux ans que nous n'avons rien présenté et cela fait un peu tache, pour une institution de notre calibre.

— Comme si nous avions le temps de faire des recherches ! s'exclama Gregory, faussement outré.

— Ryan et Suzy ont tous les deux un papier à pondre pour terminer leur stage. Ryan est, si je ne m'abuse, en dernière année, dit Don, sans se laisser démonter.

Le grand rouquin opina du chef, légèrement empourpré.

— Et je serai prêt.

Il coula un regard à Laura qui lui répondit d'un sourire embarrassé. Elle était responsable de sa formation, de cet article à venir, du retard qu'il avait pris.

— Bien sûr, ajouta-t-elle.

Elle se leva, emportant sa tasse de café vers l'évier.

— Mais c'est pour l'année prochaine.

Elle se tourna vers Greg.

« Dans quels tiroirs trouve-t-on tes clients ?

— 7 à 13. J'ai entamé le 11 et Don le 8.

— C'est parti. Ry, quand tu es prêt.

Laura laissa ses collègues terminer leur petit déjeuner pour gagner une des salles d'autopsie. Par réflexe, elle jeta un œil à son téléphone, geste automatique et inutile, guettant un message de la Société. Mais elle n'en avait pas eu depuis des mois.

Sans que cela lui ait été clairement signifié, Laura avait été mise en congé après les événements de New Tren. Elle savait, même si personne n'en avait rien dit, qu'on avait trouvé son rapport maigre, mal argumenté, et même carrément confus. Elle avait essayé de faire de son mieux, compte tenu des circonstances. Une part d'elle-même avait eu envie de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, mais une autre part, la plus puissante, l'en avait empêchée. Elle ne savait pas bien pourquoi. Elle voulait croire que c'était avant tout par crainte d'être prise pour une folle, référée à un médecin, rayée de leurs rangs à tout jamais. C'était sans doute la raison principale.

Mais elle craignait qu'il y ait là-derrière une part de loyauté mal placée. Garder un secret dont elle n'avait jamais voulu être dépositaire mais, comme le lui avaient dit Allan et Michael, qu'elle avait cherché à découvrir, en dépit de leurs multiples mises en garde. Il était trop tard pour désapprendre ce qu'elle savait et ils avaient eu confiance en elle, ils avaient décidé de la laisser vivre. Elle devait en tirer les conclusions nécessaires.

Elle s'était tue, son rapport était bancal, et la Société ne l'appelait plus. Elle avait des contacts sporadiques avec Duncan et Lloyd, de moins en moins réguliers au fil des mois. Elle ne supportait plus de les entendre lui dire d'être patiente, que tout irait bien, qu'il n'y avait pas de dossier pour elle, rien d'autre, aucune mauvaise intention, aucune mise à pied, aucun désaveu d'aucune sorte.

Mensonges, mensonges, mensonges.

Il y avait un message.

Laura, merci d'appeler Kathleen Fern pour convenir d'un rendez-vous. Urgent.

Le SMS émanait de Roger Lafferty, leur chef de section. Kathleen Fern était leur « fixeuse », l'agent responsable de ramasser les pots cassés après les interventions, de créer un écran de brouillard, les chimères utiles et nécessaires pour qu'ils puissent travailler au mieux. Six mois plus tard, New Tren ne voulait pas la lâcher.

Il y avait un second message. Vocal celui-là.

Elle ferma soigneusement la porte de la salle d'autopsie, s'appuya sur la table et soupira. C'était le numéro de Julien Sorvet, cet insupportable inspecteur minable qu'elle avait dû se farcir pendant ses mois de galère à New Tren.

Soupir, hésitation...

Ryan ouvrit la porte et elle se redressa. Ce serait pour plus tard.

— Une préférence ? demanda-t-elle en se dirigeant vers les armoires frigorifiques.

— Il semblerait que la 9 soit un gosse. Donc je vote pour la 12.

— Allons-y.

Elle repéra le tiroir en question, débloqua la fermeture et ouvrit le portillon. Un petit courant d'air froid s'échappa de l'armoire frigorifique et elle fit coulisser le plateau, révélant le cadavre. A l'état du visage, on devinait que l'individu — un homme encore jeune — avait pris une balle à l'arrière du crâne, à bout portant.

— C'est la journée bolognaise, dit Laura.

Ryan fit claquer ses gants sur ses poignets. C'était reparti pour un tour.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now