33. Le coût du silence

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TW : à lire en commentaire si vous avez des inquiétudes.


Je dois vous voir. 9 heures dans mon bureau.

L'odeur des ennuis s'était métamorphosée en injonction durant la nuit. Laura se présenta dans les locaux de la Société à l'heure dite et la porte ouverte de Lafferty l'invita à affronter le pire sans tergiverser.

Deux jours, deux convocations, une fois à la morgue, une fois à la Société, Laura arpentait des zones dangereuses, qui lui semblaient pourtant très éloignées de ses véritables ennuis. Elle devait faire face, pourtant, gérer les hommes comme les monstres.

Au moins Lafferty n'était-il pas du style à tourner autour du pot. Elle baissa d'instinct les yeux et carra les épaules. Elle avait mille choses à se reprocher, restait à voir ce qu'il allait choisir.

— Laura, je vais être franc. Je suis à deux doigts de vous suspendre. Votre gestion de Fernbridge est catastrophique. Erratique, même. Vous avez toujours travaillé avec méthode. Vos collègues pouvaient compter sur votre sérieux pour les garder dans le droit chemin. Ici... Vous agissez sans la moindre logique.

Il relâcha sa respiration comme un buffle, mais n'attendait pas de réponse.

— Edward, qui vous adore, se plie à vos desiderata en acceptant vos silences, Graham obéit sans rien comprendre... et votre pré-rapport reste vide ! Vos décisions, vos initiatives, ne sont sous-tendues par aucune donnée. Vous ne pouvez pas faire ce genre de rétention d'information, engager des ressources... communiquer avec la police, leur imposer des directives... sans étayer votre travail.

Il leva une feuille qu'il agita devant elle. Sa voix vibrait d'une colère maîtrisée, tranchante comme l'acier.

— Je pense que vous ne mesurez pas ce que votre comportement provoque. Le commissariat central s'inquiète de notre responsabilité derrière les morts de Fernbridge. Une enquête est sur le point d'être lancée par la Fédération... Apparemment, certaines des personnes décédées ont travaillé sur l'implication de la Société dans la répression d'un mouvement social des années 90 à Neffen, et on parle d'une volonté de notre part de les faire taire. La police soupçonne que la liste que vous leur avez envoyée est un leurre, et les derniers meurtres un écran de fumée, pour noyer le poisson. Et je n'ai pas une miette d'information à leur fournir pour tempérer ces angoisses !

Laura écarquilla les yeux, stupéfaite, ouvrit la bouche mais Lafferty poursuivit.

— Vous ne pouvez pas continuer comme ça, Laura. Vous êtes à côté de vous-même, depuis New Tren. Je ne vous reconnais plus. Personne ne vous reconnait ! Même Duncan et Lloyd sont venus m'en parler, or la loyauté dans votre trio nous a posé des soucis par le passé, plus d'une fois.

Il croisa les bras.

— Alors voici où nous en sommes. Un, vous allez consulter un psy. Ce n'est pas une proposition, c'est une exigence. Je sais que vous voyez enfin le docteur Kant cet après-midi, il vous donnera des coordonnées. Je ne sais pas ce qui se passe, mais ça ne peut plus durer. Et lundi, vous vous réunirez avec Graham, Edward et Duncan, qui va reprendre la supervision du dossier.

Elle songea protester, éteignit le pire. Duncan, d'entre tous.

— Ce sont les délibérations, lundi, osa-t-elle.

— Justement. Vous n'aurez plus rien à faire à Fernbridge ensuite, tandis qu'un reporter de la presse populaire s'y trouvera très bien. Laura, regardez-moi.

Elle leva les yeux avec peine.

— Est-ce que vous buvez ?

Choquée, elle secoua la tête puis comprit soudain qu'il la soupçonnait d'avoir succombé à la malédiction paternelle. L'alcoolisme avait souvent une composante génétique, après tout.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now