42. Réminiscences hivernales

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Dans l'aube étincelante, Laura appela les uns et les autres, vaseuse et rassurante. La commisération généreuse des légistes la fragilisa, les larmes lui vinrent, coulèrent, mais elle les empêcha de contaminer sa voix.

Un accident, un simple accident, elle avait été prise au dépourvu, elle manquait de sommeil, elle reviendrait dès que possible, avant la fin de semaine.

Elle contacta aussi Lloyd et Lafferty, qui ignoraient que Laura et Helen avaient été proches. Si le premier s'enquit de son état de santé, le second exigea qu'elle effectue le transfert de dossier au plus tôt, compte tenu des derniers développements, qui les plaçaient tous dans une situation critique.

Elle n'avait pas l'énergie d'y penser, de contester, aussi promit-elle d'agir aussi vite que possible.

Ensuite, elle sortit.

Allan était assis dans le jardin, un chat sur chaque genou. Par réflexe, à nouveau, elle guetta Jonathan. Le légiste trenan tapota le sol à côté de lui, elle consentit à le rejoindre. C'était étrange de pouvoir l'approcher, le toucher, sans ressentir une douleur profonde. Même si, dans le fond, elle souffrait d'autre chose, dans leur proximité, d'un élan qu'elle ne contrôlait pas, dont elle ne voulait pas, ou, au contraire, dans lequel elle se serait perdue volontiers.

— Avant que je parte, nous devons parler de New Tren, annonça Allan. Comme nous aurions dû le faire il y a six mois.

Laura acquiesça sans le regarder, poussa un bref soupir.

— Je n'ai pas mené Michael jusqu'à toi, commença-t-elle. Je veux que tu le saches. Je ne t'ai pas trahi, malgré tout... tout ce que tu m'avais raconté.

— Je sais. Il t'a traquée avec ton téléphone, il me l'a dit.

— Mon téléphone ?

— Je suppose qu'il y avait installé un mouchard. Quand tu l'as appelé à l'aide, depuis l'antre du démon, il comptait s'en servir à nouveau, mais le signal était mort.

— Il s'est cassé au moment où il a détruit la verrière de la morgue. Je l'ai abandonné derrière moi.

— C'est sans doute ce téléphone fragile qui m'a sauvé la vie.

Le Trenan sourit.

— Raconte-moi toute l'histoire.

Il acquiesça, indécis puis croisa les bras. Son regard se perdit dans la campagne ensoleillée.

— Quand il a débarqué... j'ai essayé de le semer, par principe. Me rendre... J'aurais pu me rendre, mais ça m'a semblé être une insulte à la mémoire des miens... Bref. J'ai filé vers les quartiers les plus animés possibles, le marché de Noël, les rues à bars... Je savais qu'il ne pourrait pas me tuer en public, pas aisément en tout cas, qu'il voudrait préserver les innocents, les ignorants, appelle-les comme tu veux. C'est un élan fondamental, pour lui, de protéger les gens. Plus que son besoin de tuer. Donc j'ai couru, sous ma forme canine, et je me suis perdu dans la foule. Il pleuvait à verses mais une partie du centre ville est couvert, en hiver... Bref. Bien sûr, nous étions trop proches pour que je puisse encore espérer le semer. Mon écho lui assourdissait les oreilles et même si un chien court plus vite qu'un être humain, un dieu oublié ne distance pas un archange. J'allais finir par être rattrapé, et à la réflexion, un homme qui tue un chien errant, qui va s'en émouvoir, dans une ville comme New Tren ? J'ai repris mon apparence à la faveur d'une impasse et il a rapidement fait son retard. Mais lui comme moi savions ce qui se produirait s'il posait la main sur moi : je me métamorphoserais aussitôt. Or effacer la mémoire d'une poignée de personnes choisies, c'est une chose... Effacer celle d'une centaine de fêtards, même avinés... une autre. J'ai compris qu'il allait s'adapter à son temps et me tuer d'une balle, simplement.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now