21. L'expert (2/2)

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Laura peina à relancer la conversation et les conduisit dans l'allée voisine, face à une tombe fraîchement close, couverte de roses blanches et rouges que la canicule et les averses avaient massacrées. Le nom du professeur Zafscav figurait en lettres creuses, argentées, sur un marbre pratiquement noir. Cela avait un petit côté gothique presque drôle.

Ubis s'immobilisa, jeta un œil derrière son épaule, puis marcha jusqu'au bord de la zone de terre, dans l'herbe. Laura le vit fermer les yeux, prendre une profonde inspiration et relever légèrement le menton. Il avait l'air d'un promeneur tranquille, profitant de la caresse de la brise. Elle l'observa un instant puis se sentit misérable et reporta son attention sur les alentours, trois corneilles qui se disputaient quelque chose sur une pelouse voisine, les fleurs très bleues, sans doute en plastique, qui ornaient une pierre tombale un peu plus loin, le ciel noir derrière les arbres jaunes, au-delà de l'enceinte du cimetière.

— Il est mort d'un coup violent au crâne. Asséné par l'arrière, annonça Allan.

Laura releva les yeux.

— Tu peux voir quelque chose du coupable ? demanda Laura.

— Non. Je peux juste voir la cause de sa mort.

— Le premier coup a suffi ?

— Il n'a pas souffert.

— Ça ne répond pas tout à fait à la question.

Elle haussa les épaules. Ce n'était pas ce cas-là, ni son voisin de trou, qui l'intéressaient vraiment, mais par acquit de conscience, elle avait voulu qu'il les approche, eux aussi. Allan la dévisagea une seconde puis la suivit tandis qu'elle l'entraînait un peu plus loin. Elle espérait ne pas l'avoir fait perdre son temps, mais elle était aussi curieusement émue par leur promenade au cimetière. Elle ne savait pas bien quoi penser, elle s'en voulait toujours de l'avoir fait venir. Elle ne voulait pas qu'il s'engouffre dans une brèche interdite, mais elle doutait de parvenir à le laisser partir sans lui poser de questions. Sans doute cela dépendrait-il de ce qu'il tirerait des corps de la morgue.

— Chute d'une grande hauteur. Beaucoup de peur, puis plus rien, dit le légiste trenan, debout à côté de la seconde tombe.

Laura, restée à distance, acquiesça.

— Je m'en doutais, dit-elle. Ceux qui me posent problème sont à la morgue. Mais ceux-ci font partie de la série...

— Il n'est pas commun qu'un tueur change de méthode à chaque meurtre, répondit-il, songeur.

— Sauf si c'est un professionnel.

— Je suppose qu'il y avait beaucoup de dégâts, sur le premier.

— Oui.

Ils repartirent vers la sortie du parc. Laura s'interdit de chercher la tombe de Jonathan du regard et se concentra sur ses pieds foulant le gravier sombre. Au loin, un coup de tonnerre retentit.

— Il faudrait que ce professionnel ait une véritable envie de désorienter les forces de l'ordre, pour agir de la sorte...

— Il y a très peu, pour ne pas dire aucun indice. C'est ça qui fait pencher les enquêteurs pour une hypothèse professionnelle. Mais cela ne fait que quelques jours.

— Je vois.

Ils n'épiloguèrent pas et gagnèrent la sortie. Il se mit à pleuvoir pendant qu'ils roulaient, une averse violente, comme si la nuit était brusquement tombée sur la fin du monde. La morgue disposait heureusement d'un garage couvert et ils quittèrent le fracas des éléments pour le monde aseptisé de l'institut. Aucun des légistes locaux ne s'étonna de la présence de leur homologue trenan. Quelques-uns vinrent cependant le saluer et Laura réalisa qu'il y avait davantage de connexions entre les deux équipes qu'elle ne l'avait imaginé : Donald avait été stagiaire à New Tren dans sa jeunesse ; David connaissait Allan de longue date. 

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant