40. Qui sème le vent

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Laura laissa initialement une bonne avance à la voiture qui emportait Renata vers d'autres horizons. La campagne encore lumineuse était presque déserte et une filature trop rapprochée aurait été peu discrète. Les gardes du corps de la propriétaire devaient être sur les dents. Le véhicule contourna Trespan par le nord, et pendant quelques minutes, Laura craignit qu'ils ne quittent complètement la ville pour rentrer vers Murmay. Impossible de savoir ce qui avait circulé depuis la mort d'Helen. Peut-être avait-on décidé de rassembler les cibles en un seul et même endroit, pour mieux les protéger. Peut-être avait-on levé le protocole. Peu probable. Le décès du statisticien était trop récent. Henry était toujours vivant. Peut-être plus. Laura avait lu le rapport des urgences et n'en avait rien retenu, sinon le mot brûlure, sans cesse répété.

Un petit voleur de données de vingt-deux ans.

Conduisant d'une main, elle retourna à sa poche, localisa le comprimé. Le moment semblait mal choisi et pourtant la brume s'effilochait, promesse de gouffre. Elle percevait le retour de la fébrilité avec une acuité désagréable. La pression derrière ses orbites, le vacarme du sang pulsant dans son dédale interne, le creux immense dans son ventre, qui l'aspirait vers le rien.

Une pointe de chaleur sous son sein gauche. Crise cardiaque. Fragment d'archange.

Elle bifurqua vers l'agglomération lorsque le clignotant orangé de la berline le lui suggéra. Elle laissa deux véhicules s'insérer entre elle et sa cible, sans la quitter des yeux. Wortman et ses gardiens s'engagèrent dans un parking souterrain un peu plus loin, qui desservait une « Esplanade Mary Renfrew ». Laura poursuivit sa route et se gara dans la rue suivante. Heureusement, Trespan ne semblait pas souffrir d'une pénurie de places, petit miracle. Laura retraça son parcours à pied et déboucha sur une vaste place garnie de restaurants, tavernes, d'un cinéma, d'un théâtre, concentration de loisirs en un seul endroit.

Pas de réelle foule en ce lundi soir, mais les terrasses étaient quand même bien garnies. Un guitariste égrenait des mélodies populaires devant la fontaine, des pigeons circulaient entre les tables, le soleil généreux s'attardait sur la toile des parasols. Laura scanna les lieux, à la recherche de Renata. Elle n'en avait vu qu'une photo d'identité, probablement ancienne, pas grand-chose pour la reconnaître parmi tous ces étrangers.

— Ils sont au Triangle, murmura Jonathan. Au milieu, à droite, à côté du casino.

Exposés. Comment avait-on pu consentir à une telle sortie ? Un tueur très humain aurait pu l'abattre d'une balle en plein coeur, à distance, depuis le balcon de n'importe lequel des bâtiments qui bordaient la place.

Parce qu'ils n'y croyaient toujours pas. Parce qu'ils n'y croyaient plus. Parce que la mort d'Helen les avait rendus fous.

Laura gagna les bords de la fontaine, s'y assit comme d'autres badauds, un jeune couple, un homme qui lisait son journal, deux femmes en grande discussion. Sans son smartphone, elle était bien en peine de se trouver quelque chose à faire. Ses poches étaient pratiquement vides : une pilule, un bocal. Elle plongea la main dans l'eau frémissante du bassin, se rafraîchit les joues et le front.

— Il ne viendra sans doute pas, chuchota-t-elle à l'intention de son compagnon invisible. Il a tué cette nuit.

— Je n'en jurerais rien, répondit Jonathan. Elle était vraiment furieuse qu'on lui ait mis des bâtons dans les rues, qu'on l'empêche d'exercer ce qu'elle considère comme une juste vengeance... Son attachement à ce Jason est... extrême. Il est tout pour elle, elle l'aime comme un fils, comme un amant, comme un frère. Elle est constituée autour de sa perte et d'une nécessaire vengeance. Or elle s'épuise, elle le sent. Je pense qu'elle va saisir la première opportunité. Dès qu'elle aura repris des forces.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant