39. Persév-errance

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Helen était grièvement blessée et elle mourut avant l'aube, à l'hôpital Saint-Elizabeth. Les deux corps calcinés appartenaient à des hommes adultes, mais aucun n'était Henry, qui avait survécu dans un état dramatique, et restait aux soins intensifs.

Sous le choc, Laura avait commencé les autopsies mais été incapable de poursuivre. Donald l'avait relayée, David lui avait conseillé de rentrer chez elle, avant de préférer la garder dans la salle de repos de la morgue. Un médecin de la police était passé la voir pour lui administrer un calmant et elle avait dormi quelques heures agitées avant d'être ramenée à la réalité.

Le désarroi avait plié devant la fureur.

Elle était repartie vers Ververy dans un état de rage épouvantable et avait manqué de se prendre un arbre et deux véhicules trop lambins à son goût. Bien sûr, Gareth avait replié son lit de fortune et était parti, comme elle avait supposé qu'il le ferait, ignorant tout de ce qui venait de se produire. Tant mieux. Elle ne voulait parler à personne.


Contre toute attente, alors qu'elle observait son salon désert sans le voir vraiment, Jonathan se matérialisa, dans son costume d'audience, la mine inquiète.

— Que se passe-t-il ?

Elle le dévisagea, les yeux gonflés, encore sonnée par les psychotropes, et se trouva incapable de lui répondre.

— Laura ?

Helen était morte. C'était de sa faute. Elle avait placé les sceaux trop près de la façade, elle n'avait pas trouvé de solution adéquate pour liquider l'entité tueuse, pire, elle avait incité les policiers à s'exposer avec cette histoire absurde de cibles à protéger. Les gardes du corps d'Henry avaient été brûlés vifs, deux de ses co-locataires avaient inhalé des fumées mortelles. La créature courait toujours.

— Où étais-tu ? l'apostropha-t-elle alors avec virulence.

— Quoi ?

— Tu étais censé détourner ce monstre de ses victimes !

— Laura, je t'ai expliqué...

— Tu avais disparu !

— J'étais épuisé !

— Je te faisais confiance ! Tu devais... tu devais...

La fureur la secoua comme un courant mauvais, puis moucha la virulence. Sa voix se métamorphosa, venimeuse.

— Bien sûr que tu allais échouer, siffla-t-elle. Tu n'es pas Jonathan. Tu n'es qu'une... chose immonde... comme cette chose qui a tué mon amie. Le vrai Jonathan, lui, aurait réussi.

Loin de disparaître sous l'insulte, le fantôme se massa le front du bout des doigts, comme son modèle l'avait toujours fait face à un interlocuteur déraisonnable, puis releva les yeux et s'approcha. Un instant, Laura fut envahie d'une terreur sourde. Il pouvait la tuer d'un mouvement, la toucher, la traverser, ou disparaître et se matérialiser à l'intérieur d'elle, détruire son organisme dans un éclair de souffrance. Elle refusa de reculer. Qu'il vienne, ce monstre. Qu'il vienne et révèle son vrai visage.

Il s'immobilisa à moins d'un mètre, elle aurait senti son souffle s'il avait encore respiré.

— Laura, qui crois-tu que j'étais, au juste ? reprit-il d'un ton sourd. La plupart de mes patients sont à Butterfly depuis des années, sans espoir clair de sortie, malgré un travail thérapeutique quasi quotidien. Certains ont récidivé, parfois même au sein du service. J'ai perdu mon infirmière-chef entre les mains d'un homme que je pensais avoir dégagé de sa psychose et dont j'avais personnellement relâché les contraintes. Je suis désolé si tu t'es imaginée que j'avais une sorte de super pouvoir. Je n'en ai pas. Je peux essayer, m'efforcer, m'accrocher, y croire, mais je n'ai pas de baguette magique. Je ne suis pas une sorte de dieu infaillible de la santé mentale.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant