34. Catharsis

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Debout près de la barrière, Jonathan surveilla son approche, bras croisés, la mine froncée. Sa chemise estivale se mua en tablier médical puis en costume, en imperméable, dans un mouvement fluide, une vague d'ectoplasme indécis. Les rayons du soleil qui traversaient les branches malingres des bouleaux le nimbaient de taches d'ombre et de lumière, comme s'il cherchait à se fondre dans l'été.

— Est-ce que ça va ? demanda-t-il quand Laura fut à portée de voix.

— Non. Non, ça ne va pas.

— Est-ce que je peux faire quelque chose ?

Immobile, elle l'embrassa du regard. Sa silhouette bleuâtre, ses traits fins, le souci dans son expression. L'étoffe inexistante de sa chemise, la peau inexistante sur ses joues, chacun des cheveux sur son crâne, blond-roux autrefois, désormais gris orage. Inexistants.

— Oui, tu peux.

Elle s'avança droit sur lui, d'un pas décidé. D'abord surpris, il recula, puis leva des mains défensives.

— Laura, qu'est-ce que tu fais ?

— Prends-moi dans tes bras.

— Quoi ? Tu es folle !

— J'en ai besoin !

Il disparut, réapparut à bonne distance, à l'orée du bois. Elle fit volte-face sans ralentir, repartit dans sa direction.

— Besoin ? protesta-t-il. Je pourrais te tuer !

— Je m'en fiche ! Je n'en peux plus ! J'ai besoin... besoin d'une étreinte, d'un contact, n'importe lequel !

— Tu ne sais pas ce que tu dis. J'ai tué des gens, en les touchant. Des gens qui m'étaient chers, dont la survie... la santé... était tout pour moi !

— Tu voulais m'aider !

— Pas comme ça ! Pas... pas n'importe comment !

— Si tu me tues, je pourrais réapparaître juste à côté de toi !

Il écarquilla des yeux choqués, puis la fureur transforma son expression.

— Ah oui ? Tu les vois où, mes patients, au juste ? ragea-t-il.

Il désigna l'air vide autour de lui.

— Nulle part !

— Ce n'est pas la même chose ! Pas la même chose. Moi j'ai besoin...

Elle s'interrompit, tremblante. Le monde vibrait autour d'elle, le sang sifflait dans ses oreilles, comme s'il cherchait une porte de sortie.

— Laura, souffla Jonathan. Tu n'as pas besoin de moi comme mes patients avaient besoin de moi.

— Je n'en sais rien, franchement, Jonathan, juste là, je n'en sais rien, avoua-t-elle. Peut-être que si. Peut-être que j'ai toujours eu besoin de toi. Pour m'ancrer, me soutenir, donner un sens. Et maintenant...

Elle reprit sa marche vers lui, moins vite, mais tout aussi déterminée. Leurs yeux se trouvèrent, s'arrimèrent. Cette fois, le fantôme resta figé, lèvres pincées, bras ballants.

— Tu dois trouver une autre solution, je suis désolé, murmura-t-il lorsqu'elle ne fut plus qu'à un mètre.

Il disparut.


La solution tint en une demi-bouteille de vin blanc, une bouteille entière de rosé, du limoncello d'au moins quinze ans d'âge et un fond de vodka oublié.

Le monde tournait, le plafond, les étagères, la cuisine et l'écran noir de la télévision, le lit paraissait trop distant, la vie trop dure, mais Laura n'avait plus la moindre énergie, de toute façon. Elle se sentait prête à s'effacer dans ce fauteuil, et la souffrance dans son ventre, son coeur, son crâne, l'invitait à s'y résigner et trouver la paix.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant