25. Compromis

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Le cours de l'après-midi se déroula dans une ambiance assez détendue, bien que Laura soit dans un état d'épuisement extrême. Elle avait la sensation d'avoir dépassé le stade de la fatigue et de puiser dans une réserve d'énergie secrète, fébrile, presqu'électrique, peut-être au sein même de ses os. Ou de son âme.

Les étudiants, pour la plupart, avaient travaillé avec sérieux sur le devoir qu'elle leur avait donné et avaient intégré ses commentaires dans leurs rapports. Elle répondit cependant encore à beaucoup de questions — elle en avait conservé certaines, reçues par email, pour les présenter à la classe entière, dessina des schémas, projeta quelques photos répugnantes. L'interactivité réussissait même aux plus blasés, à l'exception des quelques touristes en fond d'auditoire. Le dernier cours, deux jours plus tard, servirait à la présentation des travaux terminés devant le groupe, avant l'examen de la semaine suivante.

Certains étudiants paraissaient enchantés, d'autres vaccinés contre la médecine légale, mais tous avaient certainement compris son intérêt, ce qui était l'objectif. Et sans doute penseraient-ils, tous, à s'équiper correctement la prochaine fois qu'ils arpenteraient une scène de crime. Rien que ça, c'était une victoire formidable.

Une fois que les derniers eurent quitté les lieux, même les plus collants, Laura rassembla son matériel et décida d'aller à la bibliothèque principale du campus pour y poursuivre ses recherches, sur le moyen radical de se débarrasser d'un fantôme vengeur. Elle traversa le parc qui grillait à nouveau sous la chaleur torride, puis s'immobilisa au milieu d'une pelouse. Avec son manque de sommeil, tout ça était peine perdue. Le plus raisonnable était de plier bagage et de rentrer à Ververy pour y affronter ce qui s'y trouvait.


Arrivée à bon port, elle traversa le petit bois lentement, craignant à moitié de trouver sa maison incendiée par un esprit furieux. Mais elle déboucha dans la lumière, à côté de la grange, et y glissa la voiture. Elle sortit ensuite, aveuglée par le soleil, et se dirigea vers le cottage. Jonathan était assis sur les marches, en bras de chemise, curieusement visible dans l'ombre du porche. Elle s'immobilisa et il leva les yeux vers elle. Un moment, ils se dévisagèrent. Elle se répéta ce qu'avait dit Allan, que c'était une rémanence, qu'il n'y avait rien dans cette créature du Jonathan d'autrefois, sinon un reflet abandonné.

— Je suis désolé, dit-il alors de sa voix caverneuse, la prenant au dépourvu.

Il se déplaça sur la marche, lui laissant une place à côté de lui, à une distance respectable mais néanmoins très proche. S'il décidait de l'agresser, elle ne pourrait pas lui échapper. Des rayures sur le coeur, la main d'un monstre. En trouverait-elle dans les autopsies des morts de Butterfly ?

— Est-ce qu'on peut discuter ? demanda-t-il.

A quoi bon, spectre ? songea-t-elle.

Mais il avait l'expression sérieuse de Jonathan, son regard troublé et son allure, et Laura sentit sa poitrine se serrer, si bien qu'elle décida de lui faire confiance et s'assit. Pendant un moment, il ne dit rien. Elle l'observa en coin. Elle devinait le plancher du porche derrière lui, la rampe en bois qui avait besoin d'être repeinte, l'herbe jaunie par l'été meurtrier. Mais si elle laissait s'accommoder sa vue, elle le voyait alors lui, son volume et ses courbes, la finesse de ses traits, sa réalité envers et contre tout. Elle voyait Jonathan le fantôme, un reflet peut-être, mais un reflet fidèle. Elle eut envie de le toucher mais se retint.

— J'ai vraiment fait du mal à mes patients ? demanda-t-il soudain, sans la regarder.

Elle relâcha sa respiration.

— Tu as changé, répondit-elle prudemment.

— Je suis mort, déclara-t-il sans ambages, une légère colère dans la voix.

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Where stories live. Discover now