9. Inspection délicate

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Laura termina la journée à la morgue pour y valider les rapports qu'avait rédigés Ryan en son absence. Beaucoup de lumignons verts, peu de cadavres, la charge de travail semblait s'atténuer légèrement : de nombreux Murmaysiens avaient quitté la ville pour s'en aller mourir sur leurs lieux de villégiature. 

Elle s'apprêtait à rentrer chez elle, sainement crevée, lorsque son téléphone de service sonna.

— Laura, tu penses partir bientôt ? demanda la voix familière de Giulia, la secrétaire de la morgue.

— Plus ou moins maintenant, en fait.

Elle croisa les doigts sous la table pour que Giulia n'ait pas découvert une montagne de paperasses en retard.

— Ecoute, je me demandais si tu saurais passer par Butterfly, en rentrant chez toi. C'est plus ou moins sur ta route, non ?

— Butterfly ?

C'était un détour d'une vingtaine de minutes, au bas mot. Giulia le savait parfaitement bien mais elle n'était pas du genre à s'embarrasser de ce genre de détails quand elle avait besoin qu'on lui rende un service. 

— Bien sûr, je peux. Mais, attends, pourquoi ?

Giulia poussa un bref soupir, sans doute avait-elle espéré s'en tirer sans l'explication associée.

— Nous avons été mandatés pour revoir tous les décès de cette dernière année dans leurs installations. Apparemment, leurs statistiques sont mauvaises et le conseil supérieur de la santé veut s'assurer qu'il n'y a pas quelque chose d'institutionnel là-dessous. J'ai déjà compilé tous les rapports d'autopsie, mais ces foutus psys n'ont pas de versions informatiques des dossiers des patients. On écrit encore beaucoup à la main, apparemment... quand on écrit tout court. Bref, j'ai un mandat pour récupérer les dossiers. Je me disais que puisque c'était sur ta route... David avait prévu de faire une réunion à ce sujet dès son retour, ce serait bien qu'on ait toute la documentation à disposition.

Un audit sur Butterfly. Laura réprima un frisson.

— Ok, je passe prendre le mandat en partant. D'ici quinze minutes.

— Parfait. Je t'attends.


En remontant l'avenue arborée qui menait à l'hôpital psychiatrique, avançant au pas dans la lumière étincelante d'une fin de journée dégagée, Laura réfléchit à ce que cet audit signifiait. 

Célèbre institution murmaysienne, la fondation de Butterfly remontait à plus d'un siècle. Comme dans tous les hospices de ce genre, les méthodes n'avaient cessé de changer. Progresser, aurait dit Jonathan, mais Laura réservait son jugement. Ceux qui y rentraient en sortaient rarement guéris. Certains y restaient jusqu'à leur trépas, d'autres regagnaient la vie civile bourrés de médicaments, les derniers avaient droit à une liberté plus ou moins surveillée et à une existence plus ou moins normale, émaillée de rechutes. On n'y allait pas pour soigner une déprime saisonnière, une phobie des araignées ou un petit stress post-accident de voiture sanglant. Non, c'était un endroit sinistre, fermé, où erraient des âmes profondément blessées. 

Par Jonathan, Laura savait que le conseil d'administration voulait ouvrir une aile ambulatoire et accueillir davantage de courts séjours, pour envoyer les chroniques dans des asiles de campagne, là où les vivants — les braves citoyens de Murmay — n'auraient pu à les fréquenter de près. Le site en lui-même ne manquait pas du potentiel, c'était indéniable, avec son parc magnifique et ses bâtiments à l'ancienne. On aurait pu le réaménager en maison de repos ou hôpital ordinaire, voire en hôtel ou en appartements de luxe pour amateurs de vieux cailloux. Laura n'était pas surprise que certains puissent vouloir le faire fermer ou transférer. 

Sain d'Esprit (Laura Woodward - tome 2)Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora