Dragon Noir

Chapitre 70

— Découvrir le secret d'Harold, l'embrasser et partir comme une voleuse juste après sans penser une seule seconde qu'il pourrait tout faire foirer et être obligé de s'enfuir sans que je ne sache pourquoi. Fait.

Passer les années suivantes dans la peur qu'on découvre que je m'étais lié d'amitié avec les dragons. Fait.

Partir en expédition pour former une alliance en vue de la plus grande des guerres vikings, découvrir Harold sans savoir que c'est lui et repartir sans rien tenter. Fait.

Me faire capturer par l'ennemi, manquer de me faire violer et tuer. Fait.

Être sauvée par Harold et ne pas comprendre à ce moment-là ce que je ressens pour lui. Fait.

Laisser traîner les choses à cause de ça et croire qu'il en aime une autre. Fait.

Comprendre trop tard que je l'aime. Fait.

Voir mes amis mourir. Perdre Raina. Fait.

Être bannie de mon clan. Fait.

Révéler enfin mes sentiments à Harold et me rendre compte qu'il m'aime aussi pour le perdre juste après. Fait.

Partir à sa rescousse et perdre mon coéquipier, mon meilleur ami après Raina. Fait.

Je n'ai rien oublié ? Sûrement un truc ou deux, mais ça changera pas la conclusion. J'ai vraiment tout foiré... Ma vie est merdique ! Je suis maudite ! enragea Astrid en frappant sa selle.

Sa dragonne grogna, mécontente des paroles et du coup qu'elle avait ressenti malgré l'épaisseur du cuir.

— Désolé Tempête, je me suis laissée emporter, dit-elle en la caressant.

Elle aurait voulu pleurer, mais elle n'en était même plus capable. Après tout ce qu'il s'était passé, ses yeux s'étaient asséchés. La perte d'Alrik avait été de trop. Elle ne savait même pas s'il était encore vivant.

Elle l'avait écouté. Elle s'était enfuie, mais elle n'avait pu se résoudre à partir bien loin. Elle avait été l'attendre au lieu de rendez-vous qu'ils avaient fixé à l'avance au cas où ils seraient séparés, mais il n'était jamais venu. Elle aurait voulu retourner le chercher, chose totalement impossible après leur fiasco. L'ennemi était alerté et sur ses gardes, prêt à les accueillir. Jamais Alrik n'aurait voulu la voir tenter de le sauver dans de telles conditions. Malgré cela, elle avait hésité et il avait fallu toute la force de ses amis pour l'empêcher de faire une bêtise. Depuis elle ne cessait de s'imaginer le pire.

— Cet enfoiré ! Comment a-t-il pu nous trahir !

— Du calme Astrid, t'énerver n'y changera rien, soupira Galen pour une énième fois.

Il avait cessé de compter le nombre de fois où Astrid s'était emportée toute seule en ressassant le passé. Elle se tourna vers lui et lui jeta un regard furibond. Il volait à sa gauche avec Havi, l'homme de l'Est qu'ils avaient sauvé, assis derrière lui. Même si cela avait eu lieu plusieurs jours auparavant, elle n'arrivait pas à en faire abstraction. Le voyage était monotone et propice à ressasser les événements douloureux.

— C'est sa faute si on en est là ! Sans lui nos amis ne seraient pas morts, Harold ne serait pas prisonnier et Alrik... On ne serait pas en train de perdre cette guerre !

— On ne peut pas savoir ce qui se serait passé...

— À chaque fois, il a agi au bon moment pour faire le plus de dégâts ! J'aurais dû me douter que c'était lui.

— Personne n'a rien vu, tu ne peux pas t'en vouloir pour ça, intervint Kirsten.

Elle volait à la droite d'Astrid et tout comme lui on pouvait sentir une pointe d'exaspération dans l'inflexion de sa voix. Ils avaient tous les nerfs à vif, mais à moins d'être dépourvu de toute capacité à ressentir la moindre émotion, il aurait été impossible que ce ne soit pas le cas. Après tant de déconvenue et de retournement de situation en faveur de l'ennemi, il était difficile de croire que les choses pouvaient encore changer. Les petites victoires étaient bien vite oubliées et semblaient des plus dérisoires quand les grands événements étaient une succession d'échecs.