Chapitre 33

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Il avait l'impression qu'un troupeau de yack lui était passé dessus. Il se sentait fébrile et sa tête était comme prise dans un étau. Son corps et son esprit lui disaient de lâcher prise, d'abandonner le combat et d'attendre. Plus d'une fois déjà il les avait écoutés. Il avait baissé les bras et s'était laissé emporter par un sommeil réconfortant et sans fin. Il l'avait accueilli avec bonheur, enfin il avait été libéré du poids de ses responsabilités. Cela avait été si lourd, tant de vies dépendantes de lui... Il avait pu oublier tout ça sans la moindre peine, sans inquiétude. Une part de son être lui avait hurlé que ça ne lui ressemblait pas, qu'il ne pouvait pas faire une telle chose, mais il l'avait chassé. Pendant au moins un instant, il avait voulu que tout disparaisse.

Sa conscience n'avait pu lutter face à une telle volonté. Elle lui avait accordé cette victoire, et ce, jusqu'à maintenant. Désormais il était temps qu'il reprenne sa place dans le monde même si cela devait être douloureux.

Ses yeux s'ouvrirent difficilement. Il avait des fourmis dans tout le corps et sa tête tournait. Il lui fallut un moment pour que sa vue se stabilise. Il se trouvait dans un lit, la couverture remontée jusqu'au menton. Un feu crépitait dans la cheminée de la petite pièce dans laquelle on l'avait installé. Les rideaux avaient été tirés devant les fenêtres et seul l'éclat des flammes venait réchauffait la pièce d'une lumière à la fois douce et sinistre. À sa gauche se trouvait un petit meuble sur lequel reposaient un pichet et une chope.

Tant bien que mal, il se redressa dans le lit avec l'intention de se servir un peu d'eau quand il entendit le bruit d'une plume sur du parchemin. Il tourna la tête vers la droite et se rendit compte qu'il n'était pas tout seul. Assis sur un tabouret devant une petite table où reposait une bougie, un jeune homme qu'il connaissait bien lui tournait le dos, complètement absorbé par son travail d'écriture.

- Es... Eskil...

Au son de sa voix, le jeune guerrier sursauta et manqua de renverser l'encrier dans lequel il allait tremper sa plume. Immédiatement il la posa et se retourna. Il portait son armure noire et l'étonnement pouvait se lire dans ses yeux.

- Harold ! Par tous les dieux, tu m'as fait une de ces peurs !

Tout en parlant, Eskil quitta sa position, faisant grincer le plancher de bois, et s'empara de son tabouret qu'il vint placer au chevet de son ami. Il s'assit dessus et essaya de capter le regard d'Harold qui était en train de se masser le front.

- Comment tu te sens ?

- J'ai mal au crâne et j'ai l'impression d'avoir été piétiné, dit Harold avant d'essayer de se saisir du pichet.

- Attends, je vais t'...

- Pas la peine, je vais me débrouiller, dit un peu rudement Harold avant de s'en rendre compte. Désolé, il faut que je bouge, j'ai l'impression d'être là depuis des mois...

Il saisit de la main gauche le pichet et se servit un peu d'eau tant bien que mal malgré des gestes maladroits. Il en but une gorgée et ce n'est que lorsqu'il reposa la chope qu'il se rendit compte que ses paroles avaient mis mal à l'aise son ami. Pendant un instant, il se demanda ce qu'il pouvait bien avoir avant d'être envahi par une émotion qu'il ne connaissait que trop bien. L'inquiétude.

- Depuis combien de temps Eskil ? demanda-t-il difficilement.

- Un an Harold...

Un... un an... Non. Impossible... Il ne pouvait croire qu'il était resté inconscient autant de temps. Il ne pouvait nier qu'il se sentait faible, mais pas à ce point-là. Toutes les conséquences d'une telle révélation étaient en train de prendre forme dans son esprit quand il vit le petit sourire qui était apparu sur le visage d'Eskil. Il comprit.

Dragon NoirWhere stories live. Discover now