Chapitre 55

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Le bout de ses bottes raclait bruyamment contre les dalles de pierre d'un terne maladif. Le silence dans les couloirs de la forteresse était tel qu'à chaque mètre englouti, le crissement du cuir martyrisé résonnait lugubrement. C'était ce bruit qui avait sorti Harold des limbes comateux où il se trouvait pour le ramener parmi les vivants.

Au début, tout était confus pour lui. Une douleur languissante s'était emparée de sa jambe et de son épaule. Sa tête lui donnait l'impression d'avoir été piétinée par un troupeau de yack en furie. Il en regrettait presque de s'être réveillé.

L'odeur de la poix, de la sueur et du sang était omniprésente. Après un moment d'errance à tenter de comprendre qui étaient les deux hommes qui le flanquaient, une main sous chacun de ses bras pour le maintenir et le faire avancer, il avait réussi à stabiliser ses pensées. Son esprit s'était remis à fonctionner normalement et il s'était souvenu de ce qu'il s'était produit.

La réunion avec les chefs. Astrid bannie. Sa discussion avec Eskil et les doutes qui en étaient nés. Son départ de l'îlot pour infiltrer la cité ennemie dont ils avaient finalement réussi à atteindre le cœur. Jusque là son plan s'était parfaitement déroulé, puis il l'avait entendu, il l'avait vu et Harold avait compris. Drago l'attendait, il n'avait fait que jouer la partition de ce maître d'orchestre au son d'une symphonie traîtresse.

Heureusement les autres s'étaient échappés, Harold se souvenait de les avoir vu courir pendant qu'il retenait Dagur et ses hommes. Il ne pouvait croire qu'il en soit autrement, cela aurait été trop difficile à supporter dans le cas contraire.

Astrid, je t'en supplie ne fait rien d'imprudent...

— On dirait que notre belle aux bois dormants est enfin réveillée ! s'exclama la silhouette qui guidait le groupe quand elle se retourna.

Harold réalisa alors qu'il s'agissait de nul autre que Dagur, l'un des lieutenants de Drago et celui qui l'avait assommé. La seconde suivante Harold reçut deux baffes magistrales qui lui firent de nouveau voir trente-six chandelles.

— Juste pour être sûr.

— Espèce de...

— Te te te... Attention à ton langage, tu ne voudrais pas choquer ces braves hommes, l'interrompit Dagur en venant poser une main sur l'épaule de l'un des guerriers qui maintenait Harold debout.

L'homme était totalement impassible, bien trop habité aux frasques de son chef. On pouvait voir aux nombreuses cicatrices qui coûteraient ses bras et son visage qu'il s'agissait d'un guerrier aguerri. C'était un homme fait par la guerre, loin de s'émouvoir pour quelques insultes méritées, pourtant Dagur les traitait comme des enfants devant lesquels chaque mot devait être mesuré.

— Ce sont des hommes sensibles, es-tu donc à ce point sans cœur ? Est-ce là tout ce dont est capable le grand Protecteur du Nord ?

Harold s'apprêtait à lui répondre, mais Dagur le prit de court et ne lui en laissa pas le temps. En deux enjambées il se rendit à la grande double porte devant laquelle ils s'étaient arrêtés. Il posa les deux mains sur les battants, prêt à les ouvrir. Il se tourna une dernière fois vers Harold.

— Voyons voir si tu réussiras à maîtriser tes paroles et à sortir vivant de cette entrevue. Ahahah...

Dagur partit d'un grand rire et il poussa avec toute la force dont il disposait les battants en chêne massif. Il était difficile de croire qu'une telle porte s'ouvrirait facilement, pourtant ce fut le cas. Dagur avait-il tant de force ou les gonds étaient-ils juste bien huilés ? Harold n'aurait su le dire, il misait néanmoins davantage sur la dernière hypothèse.

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