Dragon Noir

Chapitre 41

Harold était couché dans l'herbe, les yeux tournés vers le firmament et ses milliers de points lumineux. Il n'y avait pas un bruit si ce n'est de temps à autre l'écho fugace d'une exclamation ou le rugissement d'un dragon. L'épaisse forêt qui bordait la clairière où il se trouvait n'était pas suffisante pour occulter totalement la vie nocturne du camp.

Dans peu de temps, le soleil se lèverait et ils quitteraient l'îlot sur lequel ils étaient venus s'installer après la prise de l'île d'Ospig. Ils allaient enfin s'en prendre à Dagur. Mais pour l'instant il ne voulait pas y penser. Il lui restait un peu de temps.

Ses pensées dérivèrent vers la conversation dont il ne pouvait chasser le souvenir. Thorkell. Pourquoi avait-il agi ainsi ? Il était le premier ami qu'il s'était fait en arrivant dans le nord. Ils avaient tout surmonté ensemble. Ils s'étaient toujours tout dit.

Je n'ai jamais rien demandé. Je n'ai jamais voulu être le Protecteur du Nord. J'ai tout fait pour créer un monde meilleur. Comment peut-il m'en vouloir ?

Harold sentait la rancune imprégner ses pensées. Certes la proposition d'alliance par mariage acceptée par Hagbard leur pourrissait la vie, mais il n'était pas le seul responsable. Si Thorkell et Eldrid n'avaient pas cherché à cacher leur relation, le problème ne se serait pas présenté.

Il est autant fautif que moi et il ose me le reprocher. J'ai tenté de résoudre toute cette histoire en minimisant les conséquences. Comment peut-il être d'aussi mauvaise foi ?

Si Hagbard revenait sur sa parole, cela pourrait créer un conflit avec les chefs de la Coalition, mais si en plus on venait à apprendre que son fils et héritier était impliqué, qu'il avait menti, la faute lui reviendrait. La honte d'avoir failli à contrôler son fils rejaillirait sur son honneur et celui de sa famille.

Sans compter l'accord passé sur les dragons. Tout mon travail serait réduit à néant.

Son poing se serra sur l'herbe légèrement humide. Il n'arrivait pas à croire à la situation dans laquelle il se trouvait. Tout était en train de se déliter autour de lui.

Je dois absolument parler à Astrid. Je dois savoir. Si elle... alors oui... même si cela me fait mal de l'admettre, l'idée de Thorkell pourrait fonctionner. Cela résoudrait le problème. L'un parmi tant d'autres.

De nouveau ses yeux et ses pensées s'égarèrent sur la voûte céleste. Il chassa ces pensées. Son poing se décrispa. Un soupir s'échappa d'entre ses lèvres. Il tourna son regard vers son ami, couché à tout juste un mètre de lui. En le voyant ainsi, si paisible, il sentit de la tristesse étreindre son cœur.

Tu es bien le seul sur qui je pourrais toujours compter. Toi au moins tu ne me trahiras pas. Je ne mérite pas une telle confiance, j'ai fait tellement d'erreurs...

— Krok...

La voix d'Harold était pleine de remords. Le dragon le regarda, la tête penchée, avec de grands yeux interrogatifs. Un contraste saisissant avec ses trois balafres et son oreille à moitié déchiquetée. Si Harold sentit d'abord monter en lui le désir de se détourner, il se retint. Il devait affronter la souffrance qu'il avait causée sans quoi il ne pourrait aller de l'avant.

— Je m'excuse Krokmou, pour tout...

Krokmou grogna avec douceur, faisant comprendre à son ami l'inutilité de tels regrets. À ses yeux il n'y avait rien à pardonner.

Voilà pourquoi les dragons valent mieux que nous autres vikings.

Harold le regarda avec reconnaissance et conviction. C'était même plus que cela. De la foi. Une foi envers son ami dont rien ne pourrait venir ébranler la force. Il était bien au-delà de ce que tout homme pouvait espérer. C'était exactement la raison pour laquelle il lui devait des explications.