Dragon Noir

Chapitre 32

À chaque seconde qui s'écoulait, elle sentait sa vie fuir son corps pour se répandre dans l'eau glacée de l'océan. Tout l'air de ses poumons avait été chassé, et à chaque inspiration elle avait l'impression qu'on lui appliquait un fer chauffé au rouge sur la poitrine. C'était comme si le temps avait ralenti. Elle ressentait tout avec une acuité déconcertante. Son cœur battait la chamade, son esprit paniquait face à l'évidence de son sort. Dans sa bouche, le goût âpre du sel se mélangeait à celui métallique du sang. Ses mains se crispaient sur le sable qui à chacune de ses tentatives pour remonter à la surface lui filait entre les doigts.

La poigne du guerrier qui la maintenait sous l'eau, de cet homme qui était en train de la tuer ne se relâchait pas. Pendant un court instant, la pensée que ce n'était qu'un juste retour des choses l'effleura et elle ne la combattit pas. Elle réalisait à quel point elle avait été orgueilleuse. Se croire capable de briser le crâne d'un homme d'un seul coup n'était que folie. Elle avait été le propre instrument de sa mort. Elle essaya une dernière fois d'y échapper, mais comme les précédentes elle échoua. L'eau pénétra un peu plus dans ses poumons et elle eut l'impression d'entendre un cri étouffé. Peut-être était-ce le sien ou peut-être cela venait-il de la surface. Elle n'en savait rien et ça n'avait plus d'importance. Tout était fini...

                                                                    *

Le sol était devenu noir. Des cendres tombaient du ciel, éclipsant le soleil. Il n'y avait plus aucun bruit, comme si le monde venait de s'arrêter. Seules les silhouettes noires qui se fondaient ici et là dans la fumée ambiante venaient lui rappeler qu'elle n'était pas dans le Nilfheim.

La carcasse du dragon qu'ils avaient tué reposait non loin, ou plutôt ce qu'il en restait. Il avait littéralement explosé en touchant le sol. À cette pensée elle s'évertua à ne pas songer à ce qu'elle respirait. Elle se tenait là où tout s'était terminé et elle avait l'impression que tout ce qui l'entourait était irréel. Sous l'intense chaleur de l'explosion, le sable s'était transformé en verre. Elle n'avait jamais vu une telle chose. Rien n'a pu survivre à ça. Elle ne voulait pas penser ainsi, mais son n'esprit ne pouvait s'en empêcher.

Elle était immobile, elle avait enlevé son casque pour mieux voir. Son bras gauche était devenu inutilisable et lui faisait souffrir le martyre, mais elle n'y portait aucune importance. Ses yeux la piquaient et elle sentait que les larmes n'étaient pas loin. Ce n'était pas à cause des cendres ou de la fumée omniprésente, mais à cause de ce qu'ils cherchaient. Tout ce qu'elle avait pu rassembler de la Garde Noire était là à chercher leur ami, leur chef. Tous avaient le cœur serré à l'idée qu'il ne s'en soit pas sorti, qu'il se soit sacrifié pour eux.

Tu ne peux pas me faire ça !

Élia se remit à avancer à la recherche de celui qu'elle aimait. Je t'en supplie ne me fait pas ça... Pas toi aussi... Dans sa vie, tous ceux à qui elle avait tenu l'avaient abandonné ou rejeté. Sa sœur, puis sa famille... Elle savait qu'elle ne supporterait pas cela une fois de plus. Elle ne pouvait pas le perdre. Pas lui. Une larme coula sur sa joue et y traça un sillon. Il n'est pas mort, il n'est pas mort...

Cette phrase ne cessait de tourner en boucle dans son esprit tandis qu'elle avançait. Un corps apparut au loin et malgré la douleur elle se précipita. Elle se jeta quasiment à genoux en arrivant près de l'être inanimé qui gisait au sol et elle comprit en un instant que ce n'était pas Harold. L'homme ne portait pas l'armure noire si caractéristique du Protecteur du Nord. Harold où es-tu ? Elle avait du mal à contrôler ses émotions et s'appuyant tant bien que mal sur son seul bras valide, elle se releva.