Dragon Noir

Chapitre 38

Le soleil n'était pas encore levé, c'était à peine s'il émergeait à l'horizon, pourtant Astrid y voyait comme en plein jour grâce à la lumière qui s'élevait de la dizaine de bâtiments qui l'entourait. Les flammes les consumaient, tutoyant les cieux, broyant sous sa chaleur infernale leurs structures mêmes. Le bois gémissait, amplifiant les cris des blessés qui jonchaient le sol des débarcadères sur lesquels venaient d'accoster les hommes du nord. Ils se déversaient des deux navires que Thorkell leur avait laissés avant de partir de son côté quelques semaines auparavant, découvrant avec horreur et respect ce qu'elle avait accompli avec l'aide d'Alrik et des quatre membres de la Garde Noire qui les accompagnaient. À eux six ils avaient réussi grâce à l'effet de surprise à semer le chaos dans les rangs des hommes de Drago, les forçant à abandonner le port.

Elle ne savait pas exactement quand elle avait basculé, quand elle était devenue si impitoyable. Peut-être à la mort de Raina, il était certain que cela avait eu des conséquences, mais plus sûrement lors de la bataille à laquelle elle avait participé quasiment une semaine auparavant quand ils avaient pris d'assaut une petite île. Avec Alrik ils avaient donné libre cours à leur envie de tuer, de se venger. Elle avait laissé de côté ses sentiments, celle qu'elle était pour devenir autre chose. Elle avait pensé après ce combat que cela ne se reproduirait plus, mais quelques jours plus tôt ils avaient détruit deux navires de Drago et elle était redevenue cette guerrière que seul le sang de ses ennemis pouvait apaiser. Elle sentait au fond d'elle que désormais à chaque bataille elle deviendrait ce monstre qu'elle avait toujours redouté.

- Astrid ! crièrent deux dragonniers en se posant devant elle.

Galen, un jeune homme d'un an son ainé aux cheveux de jais, descendit de son cauchemar monstrueux, suivit de Kirsten, une fille de son âge aux cheveux châtains tressés et au regard malicieux dont le razolame semblait particulièrement énervé. Il s'agissait des deux membres de la Garde Noire qu'Alrik avait placés sous ses ordres.

- Alors ? demanda Astrid.

- Ils se sont repliés dans l'enceinte du village, il est fortifié, mur en bois et quelques balistes de ce que j'ai pu voir, répondit Galen.

- Et des archers, compléta Kirsten. On a manqué d'être touché.

- On ferait mieux d'aller informer Alrik, fit Astrid en le voyant se poser un peu plus loin sur les quais.

Elle quitta sa position au coin d'une rue perpendiculaire donnant sur les quais pour aller le rejoindre. Alrik et les deux dragonniers qui l'accompagnaient discutaient avec les capitaines des vaisseaux nordiens tandis que leurs hommes formaient les rangs, attendant de recevoir leurs ordres.

- Capitaine, prenez la moitié de vos hommes et sécurisez les quais, disait Alrik quand elle arriva à son niveau.

Le capitaine en question était un vieux loup de mer, aux cheveux et à la barbe grisonnante, il ressemblait un peu à Gueulfor par certains côtés. Astrid s'entendait particulièrement bien avec lui et elle lui fit un petit signe de tête quand il passa à côté d'elle.

- Messieurs, il est temps de se mettre au travail ! Sécurisez-moi ce trou à rats et qu'on me maîtrise ces feux si vous ne voulez pas rentrer à la nage ! cria le capitaine en s'éloignant.

- Astrid, tu vas bien ? lui demanda Alrik.

Son regard était dur, il avait du sang sur le visage, pas le sien de toute évidence. Astrid songea qu'elle ne devait pas être mieux, elle en sentait quasiment le gout et si elle se fiait au regard légèrement horrifié du capitaine restant elle devait faire peur à voir. Du sang coulait encore des lames de sa hache, le manche en était poisseux, ce qui n'était guère étonnant quand on songeait au nombre d'hommes qu'elle avait tués. Ils avaient attaqué alors qu'il faisait encore nuit, que quasiment tous dormaient, aucun de leurs ennemis n'avait compris ce qui se passait. Il leur avait suffi de tuer discrètement les gardes, puis de mettre le feu aux principaux bâtiments abritant la garnison du port pour prendre le dessus. Les survivants avaient été faciles à gérer. En voyant les flammes autour d'eux, les dragons qui s'en prenaient à tous ceux qui passaient à leur portée et les cris des blessés qui saturaient l'air, ils n'avaient pensé qu'à une seule chose fuir. Astrid en avait profité, donnant libre cours à sa vengeance, leur ôter la vie avait été d'une facilité déconcertante.