Chapitre 46

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De l'autre côté du passage, Alrik attendait le dos collé à la paroi de pierre avec pour seule vision un champ de brume et les silhouettes de ses amis se fondant presque dans la roche. Ils étaient d'une telle immobilité que si par quelque retournement de situation improbable un de leur ennemi venait à remonter le défilé comme ils l'avaient fait, en passant à côté d'eux, il ne les verrait sûrement pas. Encore que, il tomberait forcément sur Harold et Élia qui se trouvaient chacun d'un côté de l'entrée du passage, la tête penchée pour regarder Eldrid. Qu'elle revienne précipitamment et ils se tiendraient en embuscade prêts à recevoir ses poursuivants.

Alrik n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait bien se passer de l'autre côté, les secondes s'égrenèrent, une à une, avec une lenteur insondable. Un bon signe à n'en pas douter, mais d'une tension insoutenable et brusquement il dut réviser son jugement. Il n'y eut pas un bruit, pas un cri ni fracas des armes, mais il vit la silhouette d'Harold se précipiter dans l'ouverture suivit de près par Élia, puis Eskil et Astrid. Sans se poser de questions il suivit le mouvement, il ne pouvait y avoir qu'une seule explication à un mouvement si soudain. Eldrid était en difficulté.

La Garde Noire et la guerrière couleur sang se précipitèrent dans l'étroit passage, le remontant à toute allure, prêt à dégainer leurs armes dès qu'ils en sortiraient. Alrik suivait de près Astrid, et malgré toute la tension et la peur pour son amie qui était peut-être dans une mauvaise passe, il ne put s'empêcher d'avoir la pensée incongrue qu'Astrid aurait pu faire un effort pour ne pas se démarquer autant de leur groupe. Elle gâchait le tableau ainsi vêtu de rouge, ses cheveux blonds ramenés en tresse et sa beauté aux yeux de tous parmi leur groupe quasi démoniaque de noir du casque à la semelle des bottes.

Abruti ! C'est pas le moment de songer à ce genre de conneries. En plus c'est un peu de ta faute, tu aurais dû songer à lui procurer le nécessaire avant de partir...

Tout s'était passé tellement vite, de leur départ pour rejoindre Harold, puis la scène qu'ils avaient créés en arrivant, et l'enchaînement immédiat avec cette mission à haut risque. Songer à une tenue de combat était bien la dernière des choses à laquelle n'importe lequel d'entre eux aurait songé.

Alrik vit devant lui le défilé s'élargir et ses amis s'éparpiller à gauche et à droite, s'estompant de nouveau dans la brume. Pas un bruit ne se faisait entendre. La distance restante lui sembla à la fois interminable et bien trop courte, il appréhendait les secondes à venir. Il ne craignait pas de devoir se battre, de devoir tuer et de se confronter à la mort, plus maintenant, pas avec tout ce qu'il avait perdu, mais il redoutait de voir de nouveau un visage ami aux paupières fermées.

Quand Astrid s'écarta, il serra plus fortement la poignée de son épée et il endurcit son corps et son esprit. Il fit encore quelques pas et observa ce qui l'entourait. Ses amis avaient tous la main sur leur arme, tendus, prêts à faire face à toute éventualité et en même temps leurs postures laissaient émaner une vague de soulagement. Lui aussi la ressentit. Il y avait bien un corps étalé au sol dans une mare de sang s'étalant un peu plus à chaque seconde, mais il était évident qu'il ne s'agissait pas d'Eldrid.

Face contre terre, la marque d'une dague sur le côté gauche du cou, c'était celui d'un homme bedonnant, dans la quarantaine, le visage marqué par la petite vérole. Le genre de soldat auquel on confiait aisément les missions sans importances, qu'on sacrifierait sans sourciller, toujours loin du combat et des honneurs. Moqué ou au mieux ignoré. Il serait pleuré seulement s'il avait de la famille et sinon peut-être ne remarquerait-on même pas sa disparition.

Eldrid était debout non loin, Harold avait posé une main sur son épaule en signe de soutien. Elle se contenta de hocher la tête et aucun mot ne fut prononcé. Il n'y en avait pas besoin. Elle montra d'une main la silhouette estompée d'un bâtiment se trouvant à peut-être bien une dizaine de mètres ou plus, il était difficile de le dire. On en voyait à peine les contours. Malgré tout, la seule forme de sa silhouette laissait présager un bâtiment de grande taille, certainement un entrepôt. Il s'agirait de leur premier point de chute. Là-bas ils pourraient envisager plus sereinement la suite des choses.

Dragon NoirWhere stories live. Discover now