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Je n'ai pas le temps de questionner Clauporte sur son plan que je suis soudain tirée en avant par la main de Tomichou. Le délégué saute dans la marre sans une once d'hésitation, m'entrainant à sa suite.

Mon corps s'enfonce dans le liquide tiède jusqu'à la taille. Comprenant qu'il est trop tard pour rebrousser chemin, je continue à avancer, sentant le sol mou de la marre s'affaisser un peu plus à chacun de mes pas.

Ce n'est que lorsqu'elle ne touche presque plus pied que Clauporte s'arrête finalement à la base d'un large tronc. Une main crispée autour d'une racine, elle utilise l'autre pour déverser l'eau pleine de vase sur ses cheveux et son visage. Mais qu'est-ce qu'elle fout ? Et pourquoi on l'a suivi ? Ce n'est vraiment pas le moment de prendre un bain. Des branches craquent et je sais que le félin qui nous pourchasse n'est plus qu'à quelques mètres.

Tenant toujours ma main captive, Tomichou s'arrête lui aussi sous le couvert de larges racines qui bordent la marre. Il me tire alors jusqu'à lui. Déséquilibrée par la violence du geste, mon pied gauche s'embronche dans une petite roche et j'atterris tête la première contre le buste du délégué. Le garçon étouffe un cri de douleur tandis qu'une forte odeur de glaise et de vase pénètre mes narines, et je remarque que mon nez ne se trouve qu'à quelques centimètres de la surface nauséabonde du marécage.

Redressant bien vite la tête, je suis surprise de voir que le visage de l'hispanique frôle presque le mien et je manque d'écraser mon nez contre son menton. Comme pour s'excuser, ses yeux cherchent les miens et un petit sourire gêné se forme sur ses lèvres. Je crois apercevoir une subtile rougeur se former sous la peau légèrement hâlée de ses joues. Mais celles-ci ne tardent pas à disparaître de ma vue lorsque le garçon se met à lentement glisser sous la surface de l'eau. Sa main remonte le long de mon bras et exerce une petite pression, m'invitant à le rejoindre.

Je me tourne vers Clauporte qui, toujours agrippée à sa racine, est maintenant trempée de la tête aux pieds, les cheveux dégoulinants de liquide vert et visqueux. Sans vraiment comprendre pourquoi, je prends une large respiration et me laisse submerger.

L'eau tiède caresse mon visage et je grimace quand un morceau de mousse vient me chatouiller l'oreille. Pourquoi je fais ça déjà ? Est-ce qu'on est censés rester sous l'eau jusqu'à ce que le jaguar s'en aille ? Pas que ce soit impossible pour moi – faire partie d'un club de natation synchronisée m'a grandement aidée à améliorer mon temps d'apnée – mais la consistance du marécage n'est pas des plus agréable à ressentir. Alors que j'imagine déjà la galère sans nom que sera le nettoyage de ma crinière, comme si avoir des cheveux frisés n'était déjà pas assez compliqué en soi, la main de Tomichou me tire doucement vers le haut.

Quand j'émerge, seule la tête de l'hispanique se tient au-dessus de la surface vaseuse. De son côté, Clauporte n'a pas bougé, son bras ne faisant plus qu'un avec sa racine. Cependant, son regard est fixé avec intensité sur un point dans mon dos et c'est en suivant sa direction que je découvre l'animal à la robe tacheté en train de déambuler autour du marais.

Alors que je l'observe, presque obnubilée par sa démarche féline, et que ses narines et ses oreilles s'agitent, je comprends enfin. Se réfugier dans le marécage est effectivement un moyen ingénieux de non seulement dissimuler nos corps mais aussi nos odeurs. Et une fois notre trace perdue, la bête sera forcée de chercher une autre proie.

Le jaguar continue à scanner les alentours avec attention et finit par sortir de mon champ de vision mais le râle de sa respiration s'intensifie au-dessus de nos têtes. Alors que l'animal se rapproche dangereusement de notre position, je sens la main de Tomichou se mouvoir sous l'eau. Silencieusement, il m'attire à lui, s'enfonçant un peu plus sous les grandes racines qui nous surplombent. Je me laisse entraîner à l'abri sans un bruit, priant à tout prix pour ne pas apercevoir une patte griffue surgir soudain devant mes yeux.

Je reste ainsi, paralysée par la peur, le corps baignant dans un mélange d'eau, de vase et de branches mortes, tous les sens aux aguets, pendant ce qui me semble une éternité. Le silence est tel que j'entends mon propre cœur tambouriner sauvagement jusque dans mes oreilles. Lent et régulier, le souffle du délégué me réchauffe la joue à chacune de ses expirations.

Soudain, des pas de courses semblant provenir d'un petit animal contournent le marais. Juste au-dessus de nous, le jaguar grogne avant de bondir à sa poursuite, faisant chuter des morceaux de terre humide sur nos têtes. Sa silhouette élancée fuse entre les arbres jusqu'à disparaitre de notre vue mais il nous faut attendre encore une bonne minute avant que l'un de nous ne daigne bouger.

— Ça a marché, murmure finalement Clauporte dans un souffle comme si elle n'en revenait pas.

J'ai encore du mal à y croire également. Et l'effarement sur le visage de Tomichou prouve qu'il n'en pense pas moins. Presque d'un commun accord, nos rires s'élèvent alors qu'un sentiment de soulagement coule dans tout mon corps. Je sens mes membres se décontracter et un long soupire de contentement s'échappe de mes lèvres. Ce n'est que quand je sens le corps du délégué frémir sous le mien que je prends conscience de notre proximité.

Le dos ancré contre le tronc de l'arbre, coincé entre deux gigantesques racines, le garçon me tient contre lui. Ses mains sur mon bras et au creux de mon dos me tiennent toujours en place et je sens la chaleur me monter aux joues en remarquant que les miennes reposent sur son torse. Du bout de mes doigts, je peux sentir les battements de son cœur s'accélérer subitement alors que nos regards se croisent.

La couleur marronâtre de l'eau qui recouvre sa figure accentue son teint hâlé, faisant encore plus ressortir le bleu de ses iris confus. L'absence de lunettes fait paraitre ses yeux plus petits mais je sens à la façon dont il me dévisage qu'il peut me voir avec précision. Apparemment, sa vision n'est floue que de loin.

Gênée, je détourne le regard et, presque aussitôt, le garçon murmure des excuses avant de me libérer de son emprise. Je n'attends pas plus longtemps pour regagner la terre ferme et me débarrasser autant que possible de la vase restée agrippée à mes vêtements et mes cheveux.


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Après notre miraculeuse échappée, je ne peux m'empêcher de remarquer le changement de comportement de Claudia. En effet, un immense sourire ainsi qu'un air confiant sont plaqués sur son visage et je ne me souviens pas avoir déjà vu l'intello aussi radieuse. Après l'avoir vu s'agiter avec terreur au-dessus d'un bassin d'eau, je n'aurais jamais pensé la voir un jour entrer avec détermination dans un marécage pour échapper à une bête sauvage.

— C'était vraiment une brillante idée ! ne manque pas de la féliciter Tomichou. Tu as l'air de bien savoir te repérer dans la nature également.

Je suis étonné de voir que la petite brune ne rougit pas au compliment de son adoré. À la place, un sourire nostalgique traverse son visage, éveillant ma curiosité.

— J'étais scout quand j'étais petite. Difficile à croire, je sais.


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À vous de choisir...

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[La charrier]

Direction le 137.


OU


[Ne rien dire]

On se retrouve en 138.

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