Chapitre 23

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Deux mains se posent sur mes yeux et une voix que je reconnais trop bien tinte dans mes oreilles :

— Ma petite Arynn à la crème chocolatée que j'adore, devine quoi ?

Rewind enlève ses mains, sautille et se place devant moi, sa pancarte fermement accrochée autour de son cou.

— J'ai une tête à deviner quoique ce soit ?

Eileen débarque alors et plisse les yeux en voyant Rewind faire ses yeux de chat.

— Il y a bien quelque chose qui a changé, tu ne vois pas ?

Hormis le fait qu'il porte une écharpe en fourrure sous cette chaleur ? Rien à signaler.

— Moi je sais, intervient Eileen. Tu as encore tenté de décapiter Patrick ?

— Raté. Mais son meurtre est prévu pour la semaine prochaine.

— Qui est Patrick ?

— Le lézard d'Ander, soupire Eileen. Rewind est jaloux parce qu'il va potentiellement gagner le Jeu des Animaux. Alors il élimine la concurrence. Ce n'est pas très fair-play, d'ailleurs.

— Il faut savoir écraser les autres pour pouvoir briller en toute insouciance, réplique-t-il.

Un silence s'écoule et il écarquille les yeux.

— Wow, cette phrase était carrément bien ! Je vais l'écrire dans mon carnet des meilleures citations. Faite par moi-même, le beau, l'unique, le terrible, le sensationnel, le...

— L'humilité s'est perdue dans les abysses de ton narcissime, ricane Eileen en lui souriant d'un air narquois.

— Blablabla. Il n'y a que les jaloux pour ne pas voir que je suis un homme tout simplement rocambolesque. Bref, quoiqu'il en soit, j'étais venu dire à Arynn qu'il n'y a plus deux cœurs sur ma pancarte, mais quatre !

J'éclate de rire alors qu'Eileen pousse un profond soupir exaspéré. Le soleil tape fort, il a sûrement dû griller le bon sens de Rewind.

— J'estime qu'Eros et Arynn ont franchi un cap, c'est pourquoi leur amour s'est multiplié par deux. Les calculs sont exacts, j'ai vérifié trois fois. Arynn, je n'hésiterais pas à tuer ces vermines qui te servent de concurrentes, tu peux compter sur moi.

— Patrick n'est plus ta priorité ?

Il plisse les yeux et hausse une épaule.

— Je saurais assassiner le loup et la chèvre, je suis polyvalent.

— Pour le coup, ça ne veut rien dire, rit Eileen.

— Tututu. Toutes mes phrases ont un sens. Encore une fois, Arynn, n'hésite pas à me faire signe. Avec Mamie, on a déjà prévu de lancer des cailloux sur ces pestes pendant la course à pieds. Une course à pieds qui commence... dans exactement vingt minutes ! J'espère que tu t'es entraînée.

Oh, mon Dieu. La toute première épreuve commence bientôt et je ne suis même pas en tenue. Je vois déjà les autres filles en train de s'échauffer.

Je panique. Je commence à paniquer. Je suis déjà en train de paniquer.

— Je ne vais pas réussir, je murmure.

Rewind se détourne, comme attiré par quelque chose d'autre et s'exclame avant de partir :

— N'oublie pas, un pied devant l'autre !

Eileen se tourne vers moi et me sourit d'un air chaleureux.

— Ce n'est pas grave si tu ne gagnes pas. Rien ni personne ne viendra remplacer ce qu'il y a entre Eros et toi, quoiqu'il y ait.

• • •

Mais qu'y a-t-il entre Eros et moi ? C'est la question qui tourne en boucle dans mon esprit depuis qu'Eileen a prononcé ces quelques mots. Je me sens oppressée dans mon jogging trop grand et ce t-shirt ample. Je dois sûrement ressembler à un sac à patates.

Quand je laisse mes yeux divaguer sur le public, un haut-le-cœur me saisit. Le parcours a déjà été expliqué. Le circuit est sur deux mille mètres, ce qui est déjà énorme pour moi, et sera découpé en un grand tour dans la forêt d'Ecclosia. Autant dire que je suis loin d'être prête mentalement.

Un grand coup d'épaule me fait tituber de quelques pas et je me retourne pour tomber nez à nez avec les deux pestes de la compétition : Sorya et Willa. La blonde me dévisage avec condescendance et s'exclame d'une voix fluette :

— Tu ne nous avais pas prévenues que tu étais une princesse.

Je me demande si cela aurait fait une différence. Probablement pas.

Sorya s'avance, un air mauvais au visage, et se hisse sur la pointe des pieds pour m'atteindre.

— Cela ne changera rien à cette compétition. Je serai celle qu'Eros épousera, au détriment de ton visage de pouilleuse.

Je ne dis rien. Sûrement parce que je me suis déjà tue toute ma vie. Lui répondre n'arrangera rien, et cela ne fera que m'attirer des ennuis.

Une nouvelle voix intervient, à ma plus grande surprise :

— La pouilleuse a un titre, et des amis hautement placés. Sans compter que son frère est roi d'une puissance mondiale, il serait dommage d'oublier ce détail.

Je pivote pour tomber sur... Morgan. Son expression est neutre, mais un sourire cruel orne ses lèvres alors qu'elle fait un pas de plus, mettant au défi Sorya.

— Ouste, sale moustique. Son frère pourrait t'enfermer pour insulte envers un membre royal.

Sorya ouvre la bouche mais Morgan la coupe de nouveau :

— Ose prononcer un seul mot et je diluerai du poison dans ton café du matin. Dégage de là, maintenant.

La pauvre ne demande pas son reste, saisit Willa par le bras et elles s'en vont toutes les deux. Moi, je cligne plusieurs fois des yeux comme si la mort allait venir me chercher.

— C'était vraiment aimable de votre part, je bredouille, mais cela risque fortement de m'attirer des ennuis.

Morgan hausse un sourcil, comme surprise, et me dévisage quelques secondes. Elle est vraiment resplendissante. Ses traits ont quelque chose de singulier et sa robe la sied à merveille.

— Les ennuis sont déjà là. Le respect se gagne, et ce n'est pas en évitant soigneusement les coups que tu l'obtiendras. Ces filles veulent la même chose que toi, et à trop encaisser, on finit par perdre son objectif de vue. Ne te laisse pas marcher dessus, Arynn.

C'est bien plus facile à dire qu'à faire, mais ça, je me retiens de le lui dire. Au lieu de ça, je hoche la tête, et elle glisse sa main sur mon épaule pour m'encourager.

— Bonne chance pour la course.

Puis elle disparaît dans un coup de vent. Moi, je m'avance pour rejoindre la ligne de départ. À quelques mètres de là, Eros est adossé à un arbre, dans l'obscurité. Rewind le rejoint, lui dit quelques mots et je le vois hausser les épaules.

Les deux me dévisagent, d'une façon différente. L'un me fixe comme si j'étais le dernier oiseau de la cage à prendre son envol, l'autre me scrute d'une intensité qui me laisse pantoise.

Mon cœur fait un looping dans ma poitrine, et puis je n'ai pas le temps de me questionner. La voix de Sir Caster résonne dans le micro, sur l'estrade juste derrière nous.

— L'épreuve de course à pieds peut enfin débuter ! Qui d'entre vous, mesdemoiselles, remportera le tout premier défi ? Qui obtiendra une balade romantique au crépuscule avec notre cher et tendre prince ? Que le Jeu des Roses commence !

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant