Chapitre 58

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— Prête ?

Je glisse ma main dans celle d'Ander. Le trajet jusqu'à Ecclosia ne sera pas long. Il y a à peine quelques heures entre les deux villes. Pour le coup, je pars seule en voiture avec mon frère. Je sais combien Eileen lui manque, il a décidé de partir tôt ce matin. Il est à peine neuf heures quand nous entamons le trajet. L'air frais balaie mes cheveux, et quand je jette un coup dans le rétroviseur, je me rends compte que j'ai une tête affreuse.

Ma tête est aussi blanche que les manches bouffantes de mon haut. Mes cernes sont creusées et mes cheveux me paraissent plus ternes. Je me rends compte que rester deux semaines enfermée à noyer mes larmes dans des pots de glace ne m'a pas aidée. On pourrait dire que j'ai connu une meilleure période dans ma vie.

La vérité, c'est que je n'ai cessé de repasser en boucles nos moments d'intimité ensemble. Je n'arrive pas à tourner la page, je n'arrive pas à avancer. J'ai failli mourir, et je n'arrive pas à en vouloir Eros. Il m'avait prévenue, il m'avait bien dit que Kereya tenterait de m'atteindre. Il m'a prévenue, et je ne l'ai pas écouté.

Mais quelle était notre solution ? Nous aurions dû prendre les armes. Quand je la revois jeter les lettres d'Eros au feu, mon cœur se serre. Ma colère est silencieuse pour l'instant, mais j'ai bien peur qu'elle n'explose lorsque nous arriverons à Ecclosia. J'ai peur qu'en revoyant Eros, je ne puisse pas être capable d'aller de l'avant.

Si je reviens à Ecclosia, c'est en partie pour mon frère –je sais qu'il ne m'aurait pas laissée seule à Lucrenda et ses retrouvailles avec Eileen auraient été d'autant plus repoussées–, mais c'est aussi parce qu'une partie de moi espère secrètement qu'Eros reviendra. Qu'il fera quelque chose. N'importe quoi.

Je le déteste, mais je me déteste encore plus, je crois. Je ne sais pas comment je suis censée me comporter, je ne sais pas ce que je suis censée ressentir, ce que je suis censée oublier.

Dois-je oublier ce qu'il m'a fait ? Dois-je le pardonner alors qu'il ne m'a pas accordée la moindre importance depuis deux semaines ?

Mes pensées sont confuses. J'aurais aimé que notre histoire ne soit pas aussi compliquée. Les choses auraient pu se passer tellement bien entre nous. Il aura fallu que Kereya vienne tout gâcher.

Et pour couronner le tout, je me rends compte que, peut-être, Eros ne m'a jamais aimée.

• • •

Deux gros chiens viennent nous accueillir sous le soleil de plomb à Ecclosia. Je n'ai jamais été aussi anxieuse de toute ma vie. Je ne me suis jamais sentie aussi mal, aussi nerveuse et stressée de devoir affronter les gens.

Tic et Tac foncent dans les jambes d'Ander qui grommelle.

— Tu ne peux pas tenir tes chiens en laisse pour une fois ?

Je referme la portière tandis que Rewind s'avance, un immense sourire aux lèvres.

— Tu m'avais manqué à moi aussi.

Contre toute-attente, Rewind s'approche et fait une accolade à mon frère. À Ander. Je pense rêver mais non, ils se serrent brièvement dans les bras. J'ai loupé un épisode ?

Ander recule puis son sourire s'étire quand il voit Eileen derrière. Quatre ans qu'ils sont ensemble, et ils s'empressent de se retrouver comme si cela faisait des mois qu'ils ne s'étaient pas vus. C'est peut-être ça l'amour. Le manque de l'autre.

Brusquement, deux gros bras me saisissent par la taille pour me faire virevolter en l'air.

— Ma petite Arynn ! Tu nous as tous terriblement manquée.

Rewind me dépose en souriant de toutes ses dents. Bianca s'approche pour l'imiter, puis c'est bientôt... Morgan ! Qui me serre contre elle.

Je ne m'attendais pas à autant d'attention de leur part, qui plus est quand cela ne fait que deux semaines !

— Comment tu te sens ? me demande-t-elle.

Morgan est resplendissante. Erkel n'est jamais loin, il s'approche et m'offre l'ébauche d'un sourire.

— Bien, je souris.

Mais mon sourire n'a jamais été aussi faux. Je crois qu'elle le devine, parce qu'elle me presse l'épaule dans un geste réconfortant.

— Ah ! Vous voilà, je vous cherchais partout !

Mamie se dessine derrière Rewind, en s'appuyant sur sa canne. Je me rappelle que sa canne n'est qu'une figure décorative puisqu'elle n'en a pas besoin pour marcher.

Elle s'approche, et comme les autres, elle est sublime. De toute manière, Mamie brille de mille feux en toute occasion.

— J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour toi, Arynn. Par laquelle veux-tu commencer ?

— La mauvaise. Comme ça, j'irai sûrement un peu mieux avec la bonne.

Mamie plisse les lèvres comme si elle ne savait pas comment me l'annoncer.

— Va droit au but, soupire Rewind.

— Kereya est encore là. Mais ne t'inquiète pas, nous la faisons surveiller. Elle ne te fera plus jamais le moindre mal.

Un frisson remonte le long de mon échine. Je me rappelle encore comment son sourire était carnassier. La façon dont elle a jeté les lettres d'Eros au feu sans le moindre remord. Ou encore comment la lame s'est plongée dans mon dos sans aucune difficulté.

J'aurais pu mourir. L'épée aurait pu toucher un poumon. Et pourtant, je suis encore là. Et d'ici demain, je devrais assister au mariage de celui qui était mon premier amour. Malheureusement, je ne ferai pas office de jolie mariée. Je ne serai que la spectatrice du bonheur d'un autre.

— Qu'est-ce qu'elle fait encore ici ?

— Quand Eros sera marié, ils s'en iront tous, tu n'as pas de souci à te faire. Pour l'instant...

Elle continue de parler mais je n'écoute plus. Quand Eros sera marié. C'est un événement qui va se produire. Ce n'est pas quelque chose d'incertain.

D'ici demain, il ne sera plus qu'un souvenir éphémère. Quelques mots échangés, des baisers volés le soir, deux corps unis pendant une nuit et... tout vole en éclats. Notre histoire n'aura donc rien valu à ses yeux ?

— Et la bonne ? je demande, les larmes aux yeux.

Non, je m'étais promis. Je vais garder la tête haute. Je vais sourire, et rire, et passer des bons moments. Je saurais m'adapter et accepter cette vie imposée.

— La bonne nouvelle c'est que Mamie a préparé un crumble aux pommes ! s'exclame Rewind. Et j'ai faim, donc allons-y !

Il fait mine de se masser le ventre et j'éclate de rire. Mamie me lance un regard plein de malice et je lâche d'une petite voix :

— J'avais raison. Je vais déjà mieux rien qu'avec la bonne nouvelle.

— C'est l'effet crumble aux pommes, il fait des ravages, sourit Mamie.

Derrière moi, Morgan nous suit et se rapproche pour marcher à mes côtés. Ander et Rewind se chamaillent devant pour savoir qui aura la première part et Mamie les menace de les cannader.

Je n'ai peut-être pas trouvé l'amour, mais j'ai une famille hors du commun. Et à mes yeux, cela vaut tout l'or du monde.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 4Where stories live. Discover now