Chapitre 27

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Le repas de ce soir a été plutôt mouvementé. Mamie a jeté ses pommes de terre au visage de Kereya qui a ensuite fini par planter sa fourchette dans la table en criant à l'agression. Mamie s'est défendu en prétextant « exorciser les démons de la table ». J'ai vu Eros rire pour la première fois et son rire m'a paru si doux aux oreilles que je me suis mise à rêver de lui, riant plus souvent. Son sourire est resplendissant.

Quoiqu'il en soit, je suis maintenant dans ma chambre, allongée dans mon lit, mes yeux rivés au plafond. Il est vingt-trois heures. Eros a probablement terminé sa balade avec Sorya, ce qui veut dire que je n'ai plus qu'une heure à attendre avant de le rejoindre. Mon cœur bat à mille à l'heure. Ce sentiment est indescriptible, et je ne l'ai jamais ressenti auparavant.

J'essaie de relativiser, de me dire qu'il est normal de ressentir cela. Je me mets à penser qu'Eros est juste quelqu'un comme ça. Mais pourquoi son visage ne quitte pas mes pensées ? Je repasse en boucle les phrases que j'ai pu dire, les gestes que j'ai pu faire. Je me mets à regretter mon manque d'affection envers lui.

Suis-je supposée lui témoigner de l'intérêt ? Comment séduire quelqu'un ? Mon cerveau est confus en ce moment même.

Et d'étranges notes résonnent dans le palais. Je me redresse. Des cordes grattent. Je reconnais Julio, c'est son violon. Il s'est mis à jouer à cette heure-ci ?

Je me lève, ne prends pas la peine d'enfiler des chaussures. J'aurai tout le temps de me changer pour ma balade avec Eros tout à l'heure.

Je pousse la porte, m'engouffre dans les couloirs du palais qui sont silencieux à cette heure-ci. Il fait nuit noire. Je vais là où la musique me porte, même si je sais où se situe la chambre de Julio et... Je vais dans la mauvaise direction.

Pourtant, tout m'indique que les notes proviennent du bout du couloir. Je continue ma route, ignorant les gardes postés le long, puis m'arrête devant la porte.

Les mélodies sont jolies, et bien effectuées. Julio se serait-il autant amélioré avec le temps ? Il joue bien, c'est vrai, mais cette technique ne peut pas venir d'un garçon de son âge...

La porte est entrouverte. Je laisse mes yeux jeter un coup d'œil à l'intérieur et je manque de faire une attaque. Il y a Julio, dans la pièce, mais il n'est pas tout seul.

Eros est celui qui joue, et il me fait dos. Il repose alors le violon, assis sur sa chaise de bureau et sa voix grave résonne :

— On s'embêtera avec l'écriture conventionnelle plus tard. Dis-toi juste que sans clé de sol, on ne peut pas jouer de musique. Je vais te l'écrire ici, tu pourras t'entraîner à la faire plus tard, d'accord ?

Julio acquiesce, visiblement heureux et moi, je n'en crois pas mes yeux. Eros griffonne sur un papier et mon cœur bat plus vite dans ma poitrine quand je réalise qu'il est torse nu. Il ne fait pas clair dans la pièce, il n'y a que sa lampe de bureau et de commode qui éclaire le coin.

Je me surprends à fixer les muscles de son dos, la façon dont sa peau semble si douce, je me mets à penser que j'aimerais le toucher, juste pour...

Je secoue la tête. Ma main s'appuie sur la porte, je fais un pas en avant mais je ne me rends pas compte qu'une porte, eh bien... bouge, au contact de l'humain.

Je rate mon pas et m'effondre comme une crêpe mal retournée au sol. Je me redresse tant bien que mal en maudissant ma maladresse constante, et mes yeux tombent sur les deux qui me fixent.

— Arynn ? s'étonne Julio.

— Tu n'es pas censé jouer à cette heure-ci, je murmure, on en avait parlé.

— Mais Eros n'a pas le temps de m'aider en journée, proteste mon frère. Ander m'a dit que je pouvais rester avec lui, du moment que ça ne le dérangeait pas.

— Et ça ne le dérange pas ?

Je ne vais pas insister, si Ander a dit oui, je n'ai rien à redire. Mes yeux alternent entre Eros et Julio. Julio et Eros. Eros, qui s'est retourné, et qui m'offre une belle vue sur ses abdominaux.

Oh. Mon. Dieu.

C'est moi qui ai proposé, Arynn, intervient-il. Je l'ai entendu jouer un soir, j'ai toqué, il avait besoin d'aide, et nous en sommes là.

Je hoche lentement la tête. J'ai soudain froid dans la pièce. Je vois ses yeux dévier sur ma chemise de nuit, et je me sens presque nue.

— Je peux rester ? je demande d'une petite voix.

— Bien sûr ! s'exclament les deux en chœur.

Je contourne le lit pour m'assoir dessus, restant à un mètre d'eux, et je regarde Eros redonner son violon à Julio.

— Répète l'enchaînement, on va voir si tu as compris.

Julio saisit son archet, pose son menton, puis joue quelques notes. Cela semble si joli à mes oreilles que je m'endormirais presque. Je n'y vois aucun défaut, aucune note de travers, et pourtant...

— Tu es resté un temps de trop sur le do, mais ce n'est pas grave. Il faut seulement que tu prévoies le coup, en ramenant ton archet plus vivement. Tu comprends ?

Julio hoche la tête, retend son violon à Eros qui le saisit.

— Prochain enchaînement. Celui-là est un peu plus complexe, mais avec un peu de pratique, tu devrais y arriver.

Eros se met à jouer. Et le temps se fige. Je le dévisage, je regarde ses doigts serrer les cordes avec agilité, sa posture, sa façon d'être si confiant dans la mélodie.

Il repose l'instrument, puis écrit sur son papier, qui est en réalité un cahier. Il le tend à Julio.

— Session terminée ! Tu n'as plus qu'à répéter le dernier bout pour demain et on est bon.

Je suis en transe. Je vois Julio le remercier, sautiller en sortant de la pièce, et moi, mes yeux ne le quittent pas.

Ce n'est pas que physique. Ce n'est pas que quelques muscles et un joli visage, que des cheveux soyeux ou encore des beaux yeux, c'est bien plus qu'une attirance de ce genre. C'est la façon qu'il a de se montrer bienveillant, prévenant, sa manière de parler, d'être présent en aidant mon petit frère.

Je crois que je suis en train de tomber amoureuse d'Eros.

— Arynn, tout va bien ?

Je veux gagner le tournoi. Je ne veux pas d'une Sorya à ma place, ou même d'une Willa.

— Oui, j'articule. J'étais juste ailleurs, excuse-moi.

— Je reviens, je vais enfiler quelque chose.

— Oh, tu n'es pas obl...

Je me retiens de terminer ma phrase. Il me scrute avec un sourire moqueur aux lèvres.

— La vue est plaisante ?

— Plus que plaisante.

Je ne sais pas ce qui me prend. Mais Eros a perdu son sourire. Il me fixe avec une intensité qui me laisse pantoise. C'est plus fort que moi, je me racle la gorge pour couper ce moment. C'est trop tôt, c'est trop... Tout va trop vite, pas maintenant.

Pas comme ça.

Il se détourne, fouille dans sa penderie et déniche un t-shirt qu'il enfile. Je profite une dernière seconde de ses muscles tendus avant que trois coups toqués à la porte ne résonnent.

Eros se décale pour ouvrir et mon sang se fige. Rewind apparaît à la porte, le visage inondé de larmes, les yeux rougis.

J'ouvre la bouche, mais aucun son ne sort. Il murmure d'une voix brisée :

— Mamie est morte.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant