Chapitre 33

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Je le dévisage. En d'autres circonstances, j'aurais éclaté de rire. Mais la situation n'est pas drôle. En fait, juste à voir son visage, je comprends qu'il ne plaisante pas. J'ai toujours eu tendance à prendre les choses trop au sérieux. Mais là, c'est différent.

— Je te demande pardon, Therys ?

— Je sais, c'est impossible à croire. Et pourtant, c'est la vérité. Mon père a longuement discuté avec ta mère et d'un commun accord, ils ont décidé de créer cette alliance.

Je cligne plusieurs fois des yeux. Je suis en plein cauchemar. C'est un rêve éveillé, pas vrai ? Je vais me réveiller dans moins de cinq secondes et cette situation n'existera pas.

— Quelle alliance, Therys ? Il n'y a pas d'alliance. Je... Qu'est-ce que tu racontes ?

Je panique. Je me mets à paniquer. Il me saisit par les mains, et plonge ses yeux dans les miens.

— Eh, tout doux, Arynn. Laisse-moi t'expliquer. Depuis que William est mort, mon père a... disjoncté. Ils ne s'aimaient pas beaucoup tous les deux mais... Perdre un enfant est toujours une étape difficile à passer. Deux ans se sont écoulés, tu sais. Et je n'ai toujours aucune héritière à offrir à mon pays. Mon père a jugé utile d'arranger ce mariage et comme nous nous connaissions d'avant, je n'ai pas protesté.

Soudain, son contact devient insupportable. Je le regarde, et tout ce que je vois me dégoûte.

— Ma mère n'aurait pas accepté. Elle veut que je trouve le grand amour.

Il grimace à l'entente des derniers mots. Et moi, je croise les bras sur ma poitrine.

— Elle a déjà signé les papiers, Arynn. Notre mariage est prévu pour le mois prochain, le temps de te préparer mentalement. Nous partirons pour Socrenia par la suite où tu t'installeras...

Je ne l'écoute plus. Mes oreilles bourdonnent. J'ai une furieuse envie de pleurer. Je me tourne, pour voir Eros, le seul qui m'apporte le réconfort dont j'ai besoin. Il me fixe au loin, une lueur inquiète dans le regard. Le petit groupe est encore là et je suis à deux doigts de courir le rejoindre.

Il fait un pas hésitant, mais je reviens déjà vers Therys.

— Je ne peux pas t'épouser, Therys. Je participe au tournoi dans le but de marier Eros, je ne peux pas... je... tu dois comprendre que ce n'est pas possible.

Je me détourne de lui mais il referme sa main sur mon poignet.

— Ce n'est pas une proposition, Arynn. C'est une obligation, ton devoir.

Je le scrute, les larmes aux yeux. Un millier de pensées me viennent en tête, j'ai tant de choses à dire, à répliquer, mais rien ne sort. Je suis faible. Je suis lâche. Incapable de me battre pour mes envies, pour mon libre-arbitre.

Ander est roi, il saura m'aider. C'est la seule chose qui reste ancrée dans mon esprit. Je cours me réfugier dans les jambes de mon frère parce que je ne suis pas capable de répliquer.

— Un problème ?

Therys me lâche et je recule d'un pas. Mon dos heurte le torse dur d'Eros qui me retient par le coude. Il a compris mon malaise, il vient à ma rescousse.

— Tu tombes bien, lance Therys. Arynn ne pourra plus participer à cette... mascarade qu'est devenu le Jeu des Roses.

— Et pourquoi donc ? réplique Eros sans perdre son sang-froid.

— Elle est ma fiancée depuis quelques heures déjà. Vous devriez vous faire vos adieux. Dans plus d'un mois, nous serons déjà loin d'Ecclosia.

• • •

— Réunion d'urgence ! Sors de ta chambre, Arynn.

Je n'ouvre même pas la porte. Je suis en larmes, mes cheveux sont pris dans un chignon atroce et mon mascara a coulé depuis le temps. Avachie dans un fauteuil, je fixe le ciel sombre, j'écoute les oiseaux chanter depuis une heure. Il est vingt heures. C'est l'heure de mon dîner romantique avec Eros.

Je n'y vais pas. Je ne compte pas y aller. Je veux juste pleurer. Je veux noyer mes larmes dans un pot de glace.

Bianca continue de tambouriner mais je fais abstraction. Seulement, quand la voix de Morgan retentit, je me fige.

— Arynn, ouvre la porte.

Je soupire et me lève de mon siège. Morgan me terrifie, autant lui obéir si je ne veux pas finir étranglée dans mon sommeil.

J'ouvre la porte et tombe nez à nez avec les deux. Bianca ouvre grands les yeux.

— Tu as une mine terrible !

— Pas la peine d'en rajouter une couche, s'agace Morgan. Il y a une réunion d'urgence dans le petit salon, Arynn. Tu veux venir ?

Je brûle d'envie de dire non. Mais quelque chose me retient.

— Une réunion d'urgence ?

Je renifle piteusement. Morgan me sourit d'un air compatissant.

— Tu comprendras quand tu y seras. Allez, viens.

Elle me tend sa main, que j'accepte sans rechigner. Nous traversons les couloirs, Bianca à notre suite, jusqu'à arriver devant le petit salon. J'essuie mes larmes et mon mascara comme je peux mais je sais très bien que je ne passerai pas inaperçue et j'appréhende déjà.

Morgan pousse les portes et je grimace intérieurement. Tout le monde est là sauf Rewind et Erkel qui manquent à l'appel.

Eros est assis dans un fauteuil, les mains sur ses genoux, un air absent au visage. Quand il lève la tête et qu'il me voit, une émotion fugace traverse son visage. Il s'empresse alors de sortir une cigarette de sa poche, se lève et s'approche de la fenêtre pour fumer.

Eileen fait les cent pas dans la pièce.

— Il doit y avoir une solution. On ne peut pas laisser ta sœur épouser ce... type.

Ander a l'air furieux. Quand il me voit, il dépose des papiers sur la table et me fixe d'un air accusateur.

— Tu as signé ces papiers ?

— Je n'ai rien fait, je bredouille.

— Les papiers de mariage ont été signés de ta main.

Je m'avance, les saisis avant de vérifier. Tout un blabla de conditions et de requêtes pour au final voir ma signature en bas de page.

— Ce n'est pas la mienne, je murmure. Je n'ai jamais signé ça.

— Eh bien, pourtant, ils le sont. Avec ta signature apposée, je ne peux même pas te défendre !

— Je vais parler à Maman, je vais...

— Non, tu ne vas rien faire du tout. Figure-toi que je lui ai déjà parlé. Elle est en ce moment même à moitié droguée par les médicaments, et croit que je lui parle dans une autre langue. C'est ce que tu veux ? Lui parler pour lui dire que tu vas épouser le frère d'un traître ?

Ses propos me blessent. Je le dévisage, le cœur serré, quand il se rend compte qu'il est allé trop loin. Il laisse un froid derrière lui, les autres n'osent pas nous regarder. Alors, il s'avance et me prend dans bras si soudainement que je ne m'y attends pas.

Je l'oublie parfois mais c'est aussi Ander qui voit sa mère dépérir à petit feu. Et Julio, ne l'oublions pas. Je ne suis pas seule dans cette histoire.

Ander recule au bout de quelques secondes et soupire, se passant la main sur le front.

— Quelqu'un a imité ta signature et c'est bien le problème. Personne n'a accès aux registres signés, qui sont gardés confidentiellement dans le palais. Personne, sauf les membres royaux en personne.

— Blabla, pas la peine de s'éterniser sur ces papiers signés, on sait tous dans cette pièce que la seule capable de faire ça n'est autre que Kereya.

La porte s'ouvre sur Rewind, suivi de Mamie.

— On a trouvé une solution ! s'exclament-ils en chœur.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant