Chapitre 60

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Mes yeux se posent sur le miroir, et quand je croise mon regard dans le reflet, je me trouve... triste. Il y a quelque chose d'éteint dans mes yeux.

Je ne m'y attarde pas. J'applique mon beaume à lèvres habituel. J'arrange mes cheveux en un joli chignon, et je laisse les deux mèches de devant s'échapper. Comme d'habitude, j'accroche ma broche.

Si le mariage n'est que dans quelques heures, je tiens à être présentable bien avant. Je veux rester jolie, malgré la situation. Pour l'occasion, j'ai revêtu une petite robe prune, dont le haut est un bustier en dentelle blanche. Mes boucles d'oreilles pendent, et mes bagues en or scintillent sous la lumière.

J'essaie de sourire à mon reflet mais je me trouve peu convaincante. Quoiqu'il en soit, je me dois de faire bonne figure. L'attitude d'Eros hier m'a bien montré qu'il n'est plus celui que j'ai connu.

Il n'a pas dîné avec nous le soir même. Et je ne l'ai pas revu hormis le soir. Il rejoignait sa chambre, la main de Willa serrée dans la sienne.

Je jure avoir entendu mon cœur se briser. Il l'était déjà, mais j'ai bien cru que j'allais m'effondrer. J'ai pleuré toute la nuit et aujourd'hui, je m'en veux. Mes yeux ont encore cet aspect fatigué.

Quoiqu'il en soit, je me lève. Je dois me ressaisir. Je vais aller m'adonner à... une activité, quelque chose, n'importe quoi. J'ai encore quelques heures à tuer avant ce mariage.

J'irai lire, tiens !

Je saisis mon livre sur la commode et sors de ma chambre. Je passe en coup de vent dans les couloirs, descends les escaliers, puis j'arrive enfin dehors. Aucun signe d'Ander ou des autres. Je crois qu'ils sont encore en train de dormir. Il n'est que neuf heures après tout, et les préparatifs du mariage ont déjà lieu.

Je vois les hommes de main installer les chaises dehors, alignées. Une arche de roses rouges a été placée au bout de l'autel. Je me détourne du spectacle pour rejoindre un coin reculé du jardin.

Je m'assois contre un arbre, le soleil m'éblouit mais cela ne me dérange pas. Les rayons sont encore faibles à cette heure-ci.

Une bonne dizaine de minutes s'écoulent. Je suis perdue dans mes pensées, dans ma lecture, quand une présence se fait sentir.

J'ignore pourquoi, mais mon cœur se met à battre furieusement dans ma poitrine.

Je me retourne. Eros est là. Il se tient devant moi, un air peiné au visage.

— Il faut qu'on parle.

Je me redresse vivement. En fait, je saute sur mes pieds, le cœur en alerte. Les mains dans les poches, il porte son costard habituel. Les pans de ses manches sont retroussées, et il porte une montre au poignet droit.

Quand il me regarde enfin, c'est mon monde entier qui bascule.

— Je te demande pardon ?

Après deux semaines sans aucun signe de vie, après avoir vécu la pire des douleurs dans son absence, il veut qu'on parle ? Il ne m'a même pas accordé l'ombre d'un regard hier !

L'injustice brûle dans mes veines. Je sens la colère enfler à moi alors que je me retiens de lui balancer ses quatre vérités au visage.

— Tu veux qu'on parle ? Maintenant ? Après tout ce temps ?

— Je sais, je suis désolé, Arynn.

— Tu es désolé ? Mais va te faire voir, ma parole !

Je me retiens de le frapper. Furieuse, je saisis mon livre et tourne les talons. Il y aura un meurtre si je reste ici, et je n'ai pas l'intention de lui donner ce qu'il veut !

Mais Eros m'attrape par le bras et me ramène à lui. À bout de nerfs, je le frappe de toutes mes forces. Ce qui équivaut à une tapette à mouche.

— Laisse-moi t'expliquer...

— Je ne veux pas t'écouter ! Tu vas te marier, tu vas... tu vas... Tu as accepté cette union ! Tu m'as ignorée pendant deux semaines alors que j'ai failli mourir !

— Je sais ! s'exclame-t-il. J'ai pris les mauvaises décisions, Arynn, et j'en suis sincèrement désolé. Mais je veux arranger les choses, je veux... J'ai besoin de toi, ce n'est pas Willa que je veux, ce n'est pas ce mariage qui m'attend, c'est toi, Arynn, que je désire plus que tout.

— Il fallait peut-être y penser à deux fois avant d'en embrasser une autre ! je réponds, furieuse.

Je n'ai jamais ressenti une telle colère. J'ai l'impression que mon monde vole en mille morceaux et qu'à chaque mot qu'il prononce, je vais m'enflammer.

— J'avais peur pour toi ! J'ai fait les mauvais choix mais je t'en prie... je t'en prie, ne laisse pas notre histoire se terminer ainsi. J'ai besoin de toi plus que quiconque sur terre, et imaginer une vie sans toi... Je ne l'imagine pas Arynn, je veux connaître une vie à tes côtés.

— Et ton mariage, alors ?

— Je l'annulerai. Je n'épouserai pas Willa.

— Et Kereya ?

— Qu'elle aille au diable. On s'enfuira toi et moi, s'il le faut.

Quelque chose cloche.

Je le regarde et je me perds dans sa beauté. Je ne dis rien lorsqu'il m'attire contre lui pour m'embrasser. Quand ses mains se posent sur ma taille, je ne ressens rien.

Pourquoi ne ressens-je rien ? Pourquoi ma vie me paraît-elle si fade comparé à tout ce que j'ai vécu avant ? Pourquoi la saveur de sa bouche n'est plus la même que dans mes pensées ?

Il recule et le monde se trouble autour de lui. Je tends les bras pour toucher son visage, je le vois m'appeler et je l'appelle, mais aucun son ne sort de ma bouche.

Ses traits se déforment, son corps disparaît en vaguelettes. À la place, c'est le visage de Kereya qui se dessine. Un rictus étire ses lèvres alors qu'elle lève le bras et me poignarde en plein cœur de sa dague.

Je pousse un hurlement de terreur, je crie à m'en écorcher l'âme tant la douleur est insupportable. Je pleure, je crie, mais personne ne vient m'aider. Je suis toute seule, j'ai mal, j'ai froid.

— Arynn !

Je me redresse vivement, le cœur battant si vite que j'ai l'impression qu'il va exploser. Devant moi, une figure féminine se dessine. Morgan.

Elle me prend dans ses bras alors que je fonds en larmes.

— Tout va bien, tout va bien, murmure-t-elle.

J'éclate en sanglots. Elle sent bon et elle est déjà apprêtée. Elle me caresse le dos tendrement comme ma mère l'aurait fait.

Autour de moi, le décor n'est pas le même. Je suis dans ma chambre, et il est plus de treize heures. Le mariage va commencer.

Mes retrouvailles avec Eros n'était que le fruit de mon imagination. Un cauchemar bien réel.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 4Where stories live. Discover now