Chapitre 30

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Je n'ai pas pu m'entraîner avec Eros pour l'épreuve qui arrive tout simplement parce que c'est une épreuve surprise. J'arrive donc à quatorze heures moins dix, vêtue d'une robe blanche légère sous cette chaleur étouffante. Il y a moins de spectateurs que l'autre fois, pour la simple et bonne raison que nous sommes en pleine canicule.

J'attends patiemment dans les gradins que l'on annonce l'épreuve, comptant intérieurement les moutons dans ma tête. Au bout de quelques minutes, une silhouette féminine se dessine devant moi, et je relève le menton. Sorya. Super. J'ai tout sauf envie de la voir.

— Tu es prête pour l'épreuve, Arynn ? demande-t-elle d'un ton mielleux.

Je fronce les sourcils. Elle porte un corset et ses seins sont à deux doigts de s'en extirper. Il faut dire qu'elle a été gâtée par la nature. Je ne suis pas à plaindre non plus, mais je ne ressens pas le besoin de les exhiber comme elle le fait.

— Tu as déjà revêtue ta robe de mariage ? ricane-t-elle.

Je fais mine de regarder ailleurs pour ne pas lui accorder d'importance et je me rends compte que ça l'agace. Elle ouvre la bouche pour parler, encore une fois, quand une voix masculine résonne dans son dos :

— Toi et tes deux gros melons, vous pouvez allez voir ailleurs ?

Rewind s'avance, un air nonchalant au visage, suivi de Mamie qui fusille du regard Sorya.

— Je ne savais pas qu'on avait autorisé les chihuahuas sur ce terrain.

— Et moi, j'ignorais que les vieilles araignées fripées étaient les bienvenus.

Oh, dieux. Je n'aurais jamais osé ouvrir ma bouche face à Mamie, peu importe les circonstances et la situation. Mamie se retourne d'une extrême lenteur, une expression glaciale au visage. Même Rewind a ouvert la bouche, outré par les propos de Sorya.

Je me dis qu'elle va se prendre des coups de canne. Ou bien que Mamie va foncer dans le palais chercher un chalumeau pour la pourchasser. Mais non. Mamie se met à aboyer comme un chien malade, en ajoutant des cris de mouette et la langue d'anciens druides. J'ai l'impression qu'elle lui jette un sort.

Sorya recule en prenant une mine dégoûtée mais je lis la terreur dans ses yeux.

— Mais elle est folle, la vieille !

Et elle s'en va en courant. Rewind éclate de rire, alors que Mamie se frotte les mains.

— Je l'ai maudite pour les dix prochaines années.

Un sourire se dessine sur mes lèvres. Au moins, cette peste me laisse tranquille. Bendy s'avance alors, et je ne le vois pas arriver. Il s'approche de nous, en robe de chambre rouge pourpre, une bouteille d'alcool à la main, un cigare dans l'autre. Il s'assit juste à côté de moi en poussant un profond soupir. Ce n'est que maintenant que je réalise qu'il n'a aucune classe, comparé à son frère.

— J'ai appris une nouvelle bien croustillante. Vous voulez savoir ?

— Accouche, marmonne Rewind.

— Mes infos ne sont pas gratuites, s'offusque Bendy en jetant un regard outragé à son cousin.

— Tu veux te faire payer comme une courtisane maintenant ? s'agace Mamie. Déballe tes informations ou bien je te cannade !

— Cannade ?

Elle lève sa canne en guise d'explication. Il s'empresse d'avouer d'un ton pressé :

— Eh bien, il semblerait qu'Eros se soit trouvé une petite copine.

— Nous le savons déjà, ça, réplique Mamie. Elle est juste à ta droite.

— Pas Arynn, ricane Bendy.

Il apporte sa bouteille à ses lèvres. Il a le teint plutôt grisâtre. Juste en le regardant, je ne lui trouve aucune ressemblance avec Eros.

— Il ne s'est pas amouraché de cette vipère de Sorya, se félicite Bendy, mais bien de sa meilleure amie ! Willa.

Rewind se penche et rétorque d'un ton piquant :

— Eros et Willa ? Impossible. Eros et Arynn ? Possible. Je suis Cupidon, je les ai choisis. Pas cette... Willa, dont le nom me fait terriblement penser à un fantôme du passé qu'il faudrait mieux oublier.

— Je ne dis que ce que je vois. Regardez-le.

Il nous désigne un point au fond du jardin. Eros est adossé à un arbre et sourit à une fille. Je la reconnais. Cheveux bruns, petite, c'est bien Willa. Je n'ai pas besoin de m'approcher pour deviner son expression au visage. Elle est la même qu'il tient avec moi. Mon cœur se serre, et une vague de panique m'envahit.

— Ils ont déjeuné ensemble ce matin et depuis, ne se quittent plus !

Je n'arrive même pas à éprouver la moindre colère. Je suis tout simplement désemparée. Après ce que nous avons vécu l'autre nuit, je pensais... Je croyais... Mais qu'est-ce que je croyais ? Je me suis faite bernée si facilement. Comment ai-je pu me laisser aller de la sorte ?

— Ce ne sont que des rumeurs, réplique Rewind.

— Kereya les a vus.

Mamie ricane d'un rire de sorcière.

— Kereya est bien la dernière personne qu'il faudrait écouter. Les limaces sortent de sa bouche dès qu'elle prononce un mensonge. Regarde par terre, le sol en est jonché !

Ils parlent, mais je ne les écoute plus. Mes yeux restent fixés sur Eros. Eros qui sourit. Eros qui rit ? Eros qui passe une main dans ses cheveux. Il a l'air... heureux ? Content ? De quoi discutent-ils ? Pourquoi mon cœur me fait aussi mal ?

— Croyez ce que vous voulez, je connais mon frère. Ce sourire, il ne le réserve pour personne ! Sur ce, bonne épreuve, douce Arynn. Si j'étais toi, je ne ferais pas trop d'effort. Gagner une épreuve pour passer un moment avec un homme qui ne t'accordera aucune attention... ?

Il me fait un clin d'œil, se lève et s'en va. Moi, je suis à deux doigts de retourner dans mon lit pour pleurer. Mais pleurer pour quoi ? Parce qu'Eros parle à une jolie fille ? Ou bien parce qu'il a déjeuné avec elle ? Et s'il n'était qu'un beau-parleur ? Et si je m'étais laissée berner tout ce temps ? On ne connaît jamais réellement les gens.

Mamie pose alors sa main sur mon épaule, et se penche, m'intimant quelques mots :

— Les paroles des autres ne doivent pas avoir d'importance, Arynn. Tu veux connaître la vérité ? Demande par toi-même. Il y aura toujours quelqu'un pour affirmer quelque chose d'infondé. Ce n'est pas quelques sourires et un déjeuner avec cette fille qui doivent te perturber. Tu es plus forte que ça, jeune fille.

Elle me relâche et je chasse mes larmes. Elle a raison dans le fond. J'essaierai de gagner, pas pour Eros, mais pour moi.

La voix de Sir Caster s'exclame déjà dans le micro :

— La deuxième épreuve va être annoncée !

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | TOME 4Nơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ