• CHAPITRE QUARANTE DEUX •

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— H —

En sortant de chez moi, je me sens partagé entre le soulagement et la confusion. Comment ai-je pu être aussi naïf et me laisser emporter par des illusions pareilles ? Je pensais pouvoir m'échapper facilement de l'emprise de la ballerine, mais maintenant que j'y ai goûté, c'est bien pire. Au réveil, en la voyant endormie à mes côtés, son visage paisible m'a captivé et je me suis surpris à me demander ce que je ressentirais en la voyant tous les matins étendue ainsi près de moi. Cette vision ne m'a pas déplu autant que je l'aurais imaginé. Je secoue la tête, tentant de chasser ces pensées de mon esprit. Je ne peux pas me permettre de m'attacher à elle. Nous avions convenu dès le départ que ce ne serait qu'une relation sans attaches, que du sexe sans complications. Pourtant, je réalise maintenant que c'est plus facile à dire qu'à faire avec elle. J'étais convaincu que je pourrais garder mes émotions sous contrôle, mais la ballerine a réussi à les ébranler, à les réveiller d'un sommeil profond. Je connais tout ce qu'il y a à savoir sur elle. Pas d'ombre au tableau, pas de poussière sur le tapis dans son dossier. Elle est parfaite et pourtant elle reste si insaisissable que je sais pertinemment que le monstre en moi ne résistera pas longtemps avant de la réclamer pour lui. Je suis une personne sombre, emplie de ténèbres qui menacent de tout engloutir sur leur passage et plus je me rapproche d'elle, plus je sens la noirceur de mon âme s'immiscer dans mes pensées. Mes démons internes se réveillent, grondant et hurlant, cherchant à déchirer les liens qui m'attachent à elle. Je suis habitué à la solitude, à me battre contre mes propres ténèbres et à garder mes distances avec les autres. Ma vie est une toile sombre, parsemée de cicatrices émotionnelles et de luttes intérieures et je ne veux pas l'entraîner dans cette obscurité avec moi. Je crains que cela ne finisse par la briser irrémédiablement, comme d'autres avant elle. Elle évolue dans un monde qui n'est pas le mien, un monde de lumière et de beauté. Elle ne mérite pas d'être poussée dans mon abîme. Je sais pertinemment que je dois prendre mes distances une fois pour toutes. Je ne ressens aucune tristesse à cette idée, aucun regret. Je sais que la ballerine sera déçue, peut-être même blessée, mais c'est mieux ainsi. C'est préférable pour elle de ne pas s'impliquer davantage avec quelqu'un comme moi. Mon âme est noire, chargée de souvenirs sinistres que je préfère garder enfouis en moi, car je suis convaincu que si elle plongeait dans les profondeurs de mon être, elle ne pourrait en ressortir indemne.

***

— Hayden !

— Henry, dis-je d'un ton cérémonieux.

— Que me vaut ce plaisir ?

— J'aimerais que vous fassiez une révision de candidature en mon nom, je lâche à brûle-pourpoint.

— Oh... je dois dire que je ne m'attendais pas à une telle requête.

— Je n'appelais clairement pas pour parler de la météo.

Henry marque une pause étonnamment longue. Peut-être ai-je mal abordé la situation. J'aurais sans doute dû choisir mes mots avec plus de précautions. Mais après tout, c'est bien l'une des premières fois où je demande un service à quelqu'un.

— Oui, je me doute. Néanmoins, ce n'est pas dans nos valeurs d'accéder favorablement à ce genre de requête. J'en suis profondément navré.

— Je ne demande pas de passe-droit pour elle, seulement une opportunité pour qu'elle puisse prouver sa valeur auprès de vous sans recommencer tout le processus de sélection.

— De qui parlons-nous exactement ?

— Angelina Carter.

— Ah... je vois parfaitement. Un malheureux accident. Mais le problème étant que ce n'est pas qu'une simple réévaluation de candidature que vous me demandez, mais une deuxième chance dans son cas. Elle a eu l'occasion de faire ses preuves et les places sont limitées comme vous le savez. Je comprends la décision de Katerina. Nous ne pouvons pas nous permettre d'accueillir en notre sein une élève qui ne sait pas travailler ses chaussons correctement.

— Je comprends, je réponds d'une voix calme.

— Avec plaisir ! Si je peux faire quoi que ce soit d'autre pour vous, Hayden, n'hésitez surtout pas.

— Oh, maintenant que vous le mentionnez. Pourriez-vous me transférer au service comptabilité ?

— Euh, bien sûr. Pourquoi ? demande-t-il avec enthousiasme.

— J'aimerais connaître la somme exacte des versements que j'effectue chaque année afin d'évaluer vos pertes futures.

— Hayden, vous n'oseriez tout de même pas ! s'offusque-t-il d'une voix légèrement tremblante.

— Je n'oserai pas ? je ricane froidement.

Je souris cruellement à mon propre reflet dans l'écran de mon ordinateur. Une satisfaction presque malsaine m'envahit, car je sais déjà comment va se terminer cet échange.

— Écoutez, je vais voir ce qui est en mon pouvoir, mais théoriquement je ne vous promets pas grand-chose, me répond-il en tentant de conserver son calme.

— Très aimable. En attendant, merci de me transférer au service comptabilité avant de raccrocher.

— Laissez-moi une heure Hayden, me supplie-t-il presque.

— Nous nous comprenons enfin, dis-je d'un ton sarcastique avant de couper la conversation sans ménagement.

Il ne faut guère plus de dix minutes à Henry pour me rappeler et m'annoncer qu'ils feront le nécessaire pour la revoir au plus vite. Je suis ravie d'apprendre que je pourrais contribuer à son succès, même si nos histoires prennent deux chemins différents. Je ne suis pas certain que la ballerine apprécie que je me mêle ainsi de sa vie, mais je peux bien lui rendre ce service en dédommagement du tort que je vais lui faire en disparaissant sans un mot. Je ne peux m'empêcher de me demander tout de même si ma motivation était réellement désintéressée, ou si j'ai agi par égoïsme.

***

Les jours qui suivent sont emplis de confusion et d'ambivalence. Mon esprit est en proie à un conflit incessant, cherchant à trouver un équilibre entre mes sentiments et ma raison. Je me demande si je suis capable de renoncer à mes propres désirs pour le bien d'Angelina, si je suis prêt à accepter la solitude et le vide qui s'installent de nouveau en moi. Mes journées passent dans un tourbillon d'incertitude et je lutte littéralement contre mes pulsions, contre l'envie de la revoir, de lui parler. Je m'enferme dans le travail pour apaiser le tumulte qui agite mon âme entière. Malgré mes doutes, je reste déterminé à ne pas m'écarter de ma décision.

BALLERINADove le storie prendono vita. Scoprilo ora