• CHAPITRE UN •

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— A —



Ce n'est pas le bon jour pour avoir une crise, alors je ferme les yeux et j'effectue quelques exercices de respiration. Je m'efforce de me calmer et de me raisonner. Mon dossier est prêt depuis des semaines et même si je sais que je ne devrais pas me mettre dans cet état, c'est plus fort que moi. Je n'ai pas vraiment le choix de toute façon, si je ne le fais pas maintenant je devrais attendre une année supplémentaire. J'inspire aussi profondément que mes poumons me le permettent en m'armant de tout le courage que j'ai en réserve et je jette un nouveau un coup d'œil à la page du navigateur internet. Clique sur ce bouton! Mes entrailles hurlent de toutes leurs forces, mais mon cerveau est comme paralysé face à l'écran. Cela en devient grotesque et j'en ai bien conscience, alors je compte jusqu'à trois et j'appuie sans plus réfléchir sur la mention « envoyer ». Ce n'est que dans l'optique de franchir l'étape de la présélection, mais mon cœur réalise un triple salto arrière en direction de mon estomac et j'ai tout à coup la nausée. Ce n'est pas croyable ! Je suis habituée à faire des pirouettes spectaculaires et pourtant je n'ai jamais eu autant envie de rendre un repas qu'en ce moment précis. Je dois dire que la pression est à son apogée. Après toutes ces années de dur labeur, je suis à un tournant de ma vie et tous mes sacrifices vont enfin faire sens. En plus des cours auxquels j'assiste, j'ai cumulé deux emplois éreintants dans l'unique but de réaliser mon rêve. Bien que la fatigue soit devenue une sœur de cœur, j'ai continué à supporter tout ce calvaire en poursuivant mes entraînements de manière intensive sans jamais perdre de vue mon objectif. Aujourd'hui, c'est finalement la consécration de tout ce travail. Je brandis un poing victorieux en l'air pour célébrer ça, mais je suis très vite submergée par une vague de panique. Je me lève comme si j'avais le diable aux trousses pour courir jusqu'aux toilettes. La tête dans la cuvette, j'entends sans mal le rire d'Evan qui fuse dans l'appartement.

— Par pitié, je gémis.

— Nous sommes le premier décembre, je parie que tu as donc...

La fin m'échappe, car mon estomac se soulève de nouveau. Reprends-toi!

— Tu ne vas pas t'évanouir, hein ?

Je serre les dents pour éviter d'envoyer une pique bien sentie à celui qui est non seulement mon colocataire, mais aussi mon ami depuis deux ans et demi maintenant. Je me fais tout de même la promesse solennelle qu'il me le paiera d'une façon ou d'une autre. Je me relève pour aller faire un brin de toilette et j'ai l'impression que toute énergie a déserté mon corps en un claquement de doigts. Face au miroir, je laisse l'eau couler en filets irréguliers sur mon visage tandis que je contemple mon reflet. Mes yeux me scrutent avec cruauté comme bien souvent ces derniers temps et je constate que mes traits semblent bien plus tirés que d'ordinaire. Je glisse une main froide sur ma nuque en me répétant que tout ira pour le mieux. J'ai attendu ce moment toute ma vie, je ne laisserai pas le stress prendre le pas sur mon bonheur.

— Ce n'est que la Juilliard School, fait Evan dans mon dos.

Je me retourne et le découvre nonchalamment appuyé sur le cadre de la porte, un sourire moqueur au coin des lèvres. Mes nausées ont laissé place à d'épouvantables spasmes et ce qu'il vient de dire me serre un peu plus l'estomac. J'ai l'impression d'avoir avalé un sac entier de pierres.

— Pourquoi te mets-tu dans un état aussi affreux, Angy ?

— Probablement parce que c'est le rêve de toute une vie ! De toute la mienne précisément, je lui réponds sarcastique. 

— J'en ai tout à fait conscience.

— Alors tu...

— Mais, m'interrompt-il, car je n'avais pas terminé. Je sais surtout qu'ils seraient de parfaits imbéciles s'ils ne voyaient pas ton talent.

BALLERINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant