• CHAPITRE QUATRE-VINGT-DIX-SEPT •

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– A –

— Pourquoi te dérobes-tu constamment ? me questionne-t-il alors que je garde le silence.

— Parce que cela me permet de ne pas terminer sur le carreau une fois encore, je finis par lui répondre d'un ton calme.

— Tu restes ancrée dans le passé et tu te voiles la face.

— C'est fort possible, mais ignorer les séquelles du passé ne les guérira pas d'un simple coup de baguette magique.

— Et j'en ai conscience, mais, que tu le veuilles ou non, il y a plus que des échanges de mots cinglants entre nous. Tu es têtue, je suis borné, mais étrangement, ça fonctionne.

— Ça fonctionne ? Ne vois-tu pas que nous sommes pris dans la même spirale depuis des mois ? Tu avais raison avec cette métaphore du chat et de la souris, mais je ne suis pas la seule souris ici. On passe notre temps à se courir l'un derrière l'autre sans jamais atteindre une stabilité quelconque. Nous ne pouvons plus continuer à trier sur le volet uniquement les moments qui nous arrangent et tu ne peux pas nier que lorsque l'on regarde cette histoire dans son ensemble, c'est un chaos indéniable.

Il sonde mes yeux avec une intensité troublante alors je décide de poursuivre :

— Ma vie est sens dessus dessous à chaque fois que tu fais irruption, je souffle.

— Et tout trouve un sens dans la mienne quand tu es présente, répond-il sans hésitation.

Je voudrais répliquer que c'est injuste pour moi, mais les mots s'éteignent sur mes lèvres. Je reste là, figée, absorbant l'impact de sa déclaration. Une légère hésitation traverse son regard, comme s'il avait laissé échapper quelque chose qu'il aurait préféré garder caché. C'est à ce moment précis que je réalise que, d'une manière ou d'une autre, nos vies sont entrelacées de façon indéniable.

— Je t'ai accordé bien plus qu'à quiconque, et avec un minimum de franchise, tu le reconnaîtrais aisément, poursuit-il. Alors pourquoi n'est-ce jamais suffisant ? Pourquoi persistes-tu à tout embrouiller ?

Il glisse un pouce sous mon menton pour me forcer délicatement à relever la tête.

— Cette fâcheuse tendance que tu as à jouer avec mes nerfs doit cesser, murmure-t-il presque.

Alors que son regard recherche une réponse dans le mien, son pouce descend jusqu'au creux formé entre mes clavicules et la pression lente qu'il y exerce me plonge dans l'agonie. Je cherche mon souffle, mais ce détail ne lui échappe pas.

— Sois honnête pour une fois. 

Je me libère de son emprise en reculant d'un pas, les poings résolument serrés contre mes cuisses. Je ne fais clairement pas confiance à mon corps... il s'est déjà montré traître à maintes reprises.

— Honnête ?

— Oui. Honnête.

J'ouvre la bouche et la referme plusieurs fois sans succès. Par où commencer et jusqu'où aller ?

— Je peux t'aider si tu le souhaites.

— Comment ça ?

— En échange de ta sincérité, je vais te faire une confidence.

Il réduit de nouveau la distance entre nous et il est maintenant si près que je sens son souffle sur mes lèvres. Ses doigts glissent dans une mèche de mes cheveux pour la replacer derrière mon oreille.

— Ta présence dissipe les ténèbres qui ont longtemps hanté ma vie. Elle éclaire chacun des recoins sombres en moi. Tu es le phare silencieux qui guide ma tempête intérieure, et même si tu es la plus incroyable des emmerdeuses que la terre n'ait jamais portée, j'ai vite compris que j'avais besoin de ta lumière dans ma vie.

Sa déclaration me fige sur place. Moi qui pensais avoir perdu mes mots un instant plus tôt, ce n'est rien comparativement à l'onde de choc que je ressens maintenant. Comment peut-il dire ça avec une telle facilité alors qu'hier encore, il claquait la porte de mon appartement sans un regard en arrière ? Le tumulte de l'orage qui grondait à l'extérieur s'est apaisé et il a laissé place à un silence si profond que j'ai l'impression qu'il peut entendre chaque battement de mon cœur.

— Je vais te laisser assimiler cette information quelques instants, Angelina. Une fois cela fait, je te poserai une seule et unique question, mais ce sera sans retour en arrière. Tu devras assumer les conséquences de ta réponse. Pour ma part, tu sais où je me tiens maintenant.

Ce n'est que lorsque les portes du bureau se referment doucement derrière lui que je sors de ma léthargie. Un frisson parcourt ma colonne vertébrale alors que ses paroles résonnent encore à mes oreilles. Chaque mot qu'il a prononcé semble avoir déclenché une réaction en chaîne dans ma tête. Mes pensées tourbillonnent dans tous les sens et je ne peux m'empêcher de me faire une réflexion étrange. Il est probablement la personne avec laquelle j'ai partagé le plus de choses ces derniers mois. Bizarrement, cette constatation me navre profondément. Il a pénétré mon intimité avec une aisance déconcertante, alors que j'ai l'impression de le mettre au supplice chaque fois qu'il comble les pièces manquantes du puzzle qu'est sa vie.

Je sais que c'est cette extrême complexité qui fait qu'il est le seul et unique Hayden Reed de cette planète, mais il fut un temps où j'aurais tout donné pour qu'il ne s'exprime plus en énigme. Alors oui, ce serait injuste de feindre l'amnésie en oubliant qu'il m'a dévoilé l'un des pans les plus importants de son existence, mais comme bien souvent, je suis mesquine avec moi-même et je me demande s'il l'aurait fait de son plein gré s'il n'avait pas été au pied du mur à cause de Stella. J'ai succombé tellement vite que je me rends compte qu'en réalité, j'ai perdu la partie le jour même où Ethan m'a renversée.

Hayden a parlé d'honnêteté et si je veux véritablement l'être avec moi-même, je dirais que je comprends enfin pourquoi j'ai mis érigé autant de barrières entre nous. Je me suis accrochée à cette histoire de Juilliard comme une bouée pour faire abstraction du fait que j'étais indiscutablement et irrémédiablement sous son emprise. Amoureuse au point d'en avoir mal physiquement chaque fois que je prenais conscience que cela n'était probablement pas réciproque. Peut-être étais-je aveuglée comme il l'a suggéré ou peut-être que je ne prenais pas les signaux pour ce qu'ils étaient en réalité, mais qui n'aurait pas douté ? Comment un homme comme lui aurait-il pu s'attacher à une fille comme moi ?

J'étais celle qui été destinée à souffrir tôt ou tard, alors j'ai fait ce que me dictait ma raison, me protéger à n'importe quel prix avant le drame. Tu parles d'une réussite! Les drames se sont enchainés plus rapidement qu'une chute de dominos. Hayden avait pourtant érigé des garde-fous dès le départ entre nous, alors pourquoi a-t-il fallu qu'il soit... lui ? Pourquoi a-t-il été pris au piège lui aussi ? Parce que je réalise aujourd'hui que ce qu'il ne disait pas avec ses mots, ses gestes le martelaient avec une force inouïe au point de laisser une empreinte indélébile sur chaque millimètre de mon cœur. Mais par crainte que cela ne soit qu'une piètre interprétation, j'ai préféré me répéter en boucle que je maîtrisais la situation. Maintenant, je sais que je n'ai jamais eu le contrôle. L'histoire aurait été inévitablement la même, car chaque regard de sa part est une délicieuse torture à laquelle je me soumets volontairement depuis le premier jour.

Le fait que ni lui ni moi ne soyons devenus fous à lier à cause de l'autre est une énigme en soi. Cependant, Hayden a raison, pour lui comme pour moi, je dois prendre une décision. Je redoute simplement que les répercussions de cette décision soient irrévocables...


🖋️ Prochain chapitre, mardi prochain à 18h30.

BALLERINAWhere stories live. Discover now