• CHAPITRE CINQUANTE •

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— H —

Je suis assis dans mon bureau, les poings serrés, contemplant l'horizon de cette ville qui me donne chaque jour un peu plus la nausée. La colère bouillonne en moi, comme une lave ardente qui menace d'engloutir tout ce qui se trouve sur mon passage. J'ai envie de tout casser autour de moi, mais je suis figé, comme paralysé par ma propre rage. Je ne peux pas croire le culot dont elle fait preuve en venant ici. Et ce qui m'exaspère encore plus, c'est qu'elle semble prendre un malin plaisir à se foutre royalement de moi. Elle m'a giflé non pas une fois, mais trois ! Trois! Que cherche-t-elle à la fin ? Et pourquoi ne puis-je pas me la sortir de la tête ? Elle est pire qu'une épine dans mon pied. Elle est devenue une obsession malsaine qui hante mes jours et mes nuits et malgré la colère qui me ronge, je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'elle veut vraiment. Pourquoi est-elle venue me voir ? Je soupire profondément en me frottant le front pour tenter d'apaiser mon début de migraine. Je ne peux pas laisser mes problèmes personnels prendre le dessus sur mon travail. Je dois me ressaisir pour pouvoir me concentrer sur les dossiers qui se trouvent devant moi. Je demande une tasse de café pour faire passer mes cachets et je verrouille mes pensées, car je sais que je vais avoir besoin de toute ma force pour affronter cette journée.

***

Les chiffres défilent sur l'écran et j'essaie de me concentrer dessus, mais c'est peine perdue. Mes pensées sont ailleurs, égarées dans un gouffre de rage et de ressentiment. Je ne peux m'empêcher de repenser à Aaron. Tout ceci n'est qu'un jeu pour lui et une fois de plus, je suis tombé dans son piège. La haine que j'éprouve à son égard est aussi brûlante que les flammes de l'enfer. Je suis furieux contre lui, contre sa simple existence même ! Pourquoi a-t-il fallu qu'il choisisse cette date pour réapparaître après cinq ans ? Le fait de le voir a ravivé des souvenirs que j'aurais préféré laisser enfouis au plus profond de mon être.

Je saisis mon stylo, signe rapidement les documents sans même les relire et les tends à l'une de mes avocates. Je n'ai qu'une envie, sortir d'ici, rentrer chez moi et me défouler. Je n'entends plus le monstre depuis l'altercation avec la ballerine il y a quelques semaines et cela ne me rassure pas, bien au contraire. C'est la première fois qu'il ne fait rien pendant aussi longtemps... J'ai l'impression qu'il est tapi dans l'ombre et qu'il rassemble ses forces pour frapper au pire moment de mon existence.

— Tout va bien, Monsieur Reed ? me demande Maître Yamamoto tandis que je lui tends la liasse de documents.

— Oui, ça va, je réponds sèchement.

Je sais que je ne peux pas laisser paraître ma colère et ma frustration devant des partenaires potentiels, alors je me lève pour mettre fin à cette réunion. Je prends une profonde inspiration, me concentrant sur les mots que je dois prononcer pour ne pas déraper.

— Je suis ravi de conclure cette affaire avec vous, je déclare d'une voix ferme. Je suis convaincu que cette acquisition sera bénéfique pour toutes les parties impliquées. Maître Yamamoto va finaliser le reste avec vous. Bonne journée.

Je quitte la salle de réunion et je me dirige vers l'ascenseur sans même repasser par mon bureau ou prévenir mes assistants. J'ai besoin de me calmer. Je ne peux pas laisser Aaron ruiner ma vie de nouveau. Il n'a plus ce pouvoir sur moi. J'appuie frénétiquement sur le bouton du rez-de-chaussée pour que les portes se referment. Ma patience a brutalement volé en éclat simplement en repensant à ce connard de première.

***

Le monstre et moi fêtons une année de plus, mais je n'ai pas envie de célébrer quoi que ce soit. Comme chaque année, Stella a organisé une soirée en mon honneur, mais je ne compte pas y mettre les pieds. Ce n'est qu'une pièce de théâtre grandeur nature où se mêlent sourires hypocrites et poignées de main forcées. Je préfère me tenir loin de ce genre d'événement autant que possible. Cette fausse sympathie me répugne et je n'aurai certainement pas la force d'y assister cette année encore. Je n'ai que faire de voir Stella se ridiculiser une fois de plus en célébrant l'anniversaire d'un fantôme.

« Quelle délicieuse femme ! » Je fixe la photo que je viens de recevoir. La ballerine se tient plus radieuse que jamais sur le trottoir de son immeuble. Le numéro qui m'a envoyé ce message n'est pas enregistré dans mon répertoire, mais je sais à qui il appartient. Aaron... Il ne cherche qu'une chose : que je perde mon sang-froid et il a réussi son coup. J'irai à cette putain de soirée de merde, mais je n'irai pas seul ! À cette simple pensée, le monstre sort de sa cage, toutes griffes dehors. La puissance de sa fureur me fait chanceler sur mes propres pieds. Après être resté dans l'ombre pendant des semaines, il me fait comprendre qu'il a besoin d'être libéré en cognant contre tous les coins de ma boîte crânienne. J'attrape mes clés et sors de chez moi. Puisque Aaron veut jouer, nous allons jouer. Lui, moi et le monstre.

J'enfile mon casque et m'élance dans les rues de New York. Je roule à toute vitesse, évitant les voitures, les piétons et les cyclistes, mais ce n'est pas l'envie qui me manque d'en renverser certains au passage. J'essaie de me concentrer sur la route et la circulation chaotique pour ne pas me tuer avant de lui régler son compte, mais mes pensées reviennent sans cesse à lui et à cette soirée qui m'attend. Avec le nombre de personnes qui seront présentes au mètre carré, c'est une très mauvaise idée de m'y rendre, mais Aaron a décidé une fois encore de jouer à un jeu dangereux. La dernière partie lucide de mon cerveau me hurle de me calmer avant d'y arriver, mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Je repense à toutes nos disputes, toutes les fois où il m'a poignardé dans le dos et ma colère redouble. Mes poings me démangent sous mes gants. Je vais en finir une fois pour toutes avec lui.

BALLERINAUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum