• CHAPITRE SOIXANTE DOUZE •

661 78 4
                                    




— H —

Je suis pris dans un tourbillon de confusion et de colère. Deux semaines se sont écoulées sans un mot de la Ballerine. J'avais fini par m'habituer à sa présence dans ma vie, à la manière dont elle avait perturbé mon univers, chassant les ombres qui m'habitaient. Puis, du jour au lendemain, elle a disparu, comme si elle n'avait jamais existé, et je ne parviens toujours pas à comprendre ce qui a bien pu la pousser à agir ainsi. Je suis plongé dans l'obscurité totale, car elle a décidé de partir sans un mot d'explication en laissant simplement derrière elle un silence assourdissant. Je n'arrive pas à me débarrasser de la rage froide et implacable qui me consume de l'intérieur depuis son départ brutal. Cette obscurité qui m'habitait autrefois avait trouvé un exutoire en elle, mais à présent elle est revenue et elle est encore plus noire que jamais. Comment a-t-elle pu être aussi impitoyable?

— Monsieur Reed, vous avez l'air bien pensif ce soir, commente quelqu'un à ma droite.

— Hum, je grogne plus que je réponds.

Les conversations autour de la table s'étirent en longueur depuis un bon moment et ce dîner infernal semble ne jamais vouloir prendre fin. Mais je sais pourquoi je suis préoccupé ce soir. Lewis m'a informé dix minutes avant mon arrivée au restaurant qu'il l'avait localisée en Russie. Je sais que lui demander ce matin de la traquer n'était peut-être pas la meilleure des choses à faire dans mon état, mais j'ai besoin de comprendre. Comprendre pourquoi elle a disparu du jour au lendemain, pourquoi elle évite mes appels, pourquoi elle ne se rend plus au travail. Je veux simplement connaître les raisons, rien que les raisons. Ce ne peut pas être uniquement à cause de notre discussion sur cette maudite robe...

— Vous paraissez soucieux, reprend-il comme si de rien n'était. Nous avons tous des démons à affronter, n'est-ce pas ? s'amuse-t-il.

Oh que oui... mais le mien est plus bruyant et vorace que les leurs et il se prénomme Angelina Carter.

— Monsieur Reed, nous avons examiné en détail les projections financières pour le prochain trimestre. Les chiffres sont prometteurs et nous pensons que votre investissement peut générer des rendements significatifs.

Concentre-toi, Reed...

— J'ai besoin de plus de détails sur vos projections.

Je relance la conversation, même si je sais pertinemment que je ne signerai aucun accord ce soir. Je n'ai pas toute ma tête pour prendre ce genre de décision.

— Nous prévoyons une augmentation de 15 % du chiffre d'affaires global, principalement due à l'expansion de notre marché en Europe de l'Est. De plus, nous avons identifié des opportunités de réduction des coûts opérationnels, ce qui devrait renforcer nos marges bénéficiaires.

Europe de l'Est... Bien évidemment. Il fallait que ce soit l'Europe de l'Est.

— Qu'en est-il de la concurrence sur ce marché ? demande Mason près de moi.

— Nous avons analysé la concurrence de près et il apparaît que notre expertise dans la technologie de pointe nous donne un avantage.

Je laisse à Mason le soin de rebondir, car mes pensées sont ailleurs. La nouvelle de la localisation d'Angelina en Russie résonne comme un écho obsédant dans ma tête. Lewis a réveillé en moi le désir de la retrouver et de la confronter pour découvrir pourquoi elle est partie sans un mot. Sans un mot, je me lève de la table, repoussant la chaise bruyamment. Je sens les regards surpris des convives, mais je n'y prête aucune attention. Je quitte la salle du restaurant sans même m'excuser, laissant derrière moi ce simulacre de dîner professionnel.

Le trajet jusque chez moi est flou, les rues défilent sans que je les remarque et le rugissement du moteur résonne dans mes oreilles, comme une litanie envoûtante qui tente de noyer mes pensées tumultueuses. L'idée d'aller la retrouver en Russie tourbillonne dans ma tête comme une ombre insaisissable. Je sais que cette colère qui m'enserre la poitrine depuis des jours ne me quittera que lorsque j'aurai obtenu des réponses. Je ne peux donc pas la laisser s'échapper sans une explication. Quitte à être une nouvelle fois le monstre de l'histoire...

BALLERINAWhere stories live. Discover now