• CHAPITRE SOIXANTE-QUATORZE •

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– A –

Peut-être que c'est simplement l'euphorie de rentrer chez moi qui me joue des tours, ou peut-être est-ce réel, mais j'ai l'impression que l'air ici est différent. Les rues et les bâtiments familiers défilent devant moi et tout prend une teinte plus vivante, plus vibrante de sens. Je ne suis plus la même personne qu'au moment du départ, mais c'est une réalité que j'embrasse avec enthousiasme. J'ai dû me perdre pour enfin me retrouver et je n'ai pas l'intention de laisser ce sentiment me filer entre les doigts.

Lorsque j'arrive à l'appartement, je constate que rien n'a changé, si ce n'est le silence inhabituel qui y règne. Je reste dans l'entrée quelques minutes, savourant cet instant comme si c'était une bouffée d'air frais après une longue plongée. J'ai à peine le temps d'entendre les bruits de ses petites pattes que James me saute dessus en aboyant avec entrain. Je dois m'appuyer contre le mur pour ne pas basculer, mais je suis tellement soulagée qu'il me reconnaisse que je me jette pratiquement à terre pour lui rendre son étreinte. J'en profite pour jouer un peu avec lui, mais le manque de sommeil et le décalage horaire me rattrapent vite et rendent l'appel de mon lit quasiment irrésistible. Je me dirige dans ma chambre avec une légère appréhension, mais tout est comme je l'ai laissé. Je m'attendais à ce que le souvenir douloureux de la soirée qui a précédé mon départ m'envahisse, mais ce n'est pas le cas. Je me sens juste... apaisée. Les draps sont frais et le ménage est fait, comme si les garçons s'étaient préparés à mon retour. J'aimerais avoir la force de prendre une douche et de ranger mes affaires, mais l'épuisement l'emporte.

Lorsque j'ouvre les yeux, la nuit est déjà bien avancée et une odeur délicieuse se faufile sous ma couette pour me réveiller en douceur. Je m'étire et même si chacun de mes muscles est courbaturé, je trouve cette sensation étrangement agréable. Je n'ai pas aussi bien dormi depuis des semaines et je ne m'en rends compte que maintenant. Comme si le simple fait d'être de retour avait libéré un poids qui pesait sur mes épaules. Je me lève, j'enfile rapidement un bas de jogging ainsi qu'un débardeur et je me dirige vers la cuisine avec James sur mes talons. L'odeur alléchante qui flotte dans l'air me guide jusqu'à Evan.

— Je savais que j'arriverais à te faire sortir de ta chambre, s'amuse celui-ci.

Il se tourne pour me faire face et le sourire qui illumine son visage est si chaleureux et contagieux que je sens mon cœur se serrer dans ma poitrine. Les ustensiles toujours en main, il s'approche pour m'enlacer tendrement. Je suis vraiment reconnaissante d'être de retour parmi les personnes qui comptent le plus pour moi.

— Ça sent tellement bon ! je m'exclame alors qu'il me libère de son étreinte.

— Je me doutais que tu aurais faim à ton réveil.

— Depuis combien de temps es-tu rentré ? je demande curieusement.

— Quelques heures, me répond-il.

— Heures ? Pourquoi ne m'as-tu pas réveillé ? je m'étonne.

Evan rit doucement.

— J'ai bien failli, mais tu avais l'air si paisible, je n'ai pas osé.

— Tu aurais dû !

— Déjà que j'ai enfreint la règle en entrant dans ton sanctuaire sans ton autorisation, je n'allais pas en plus te réveiller.

— En parlant de sanctuaire... Alec aurait pu utiliser ma chambre en mon absence.

— Il ne se serait jamais permis, tu le sais très bien. Et puis, c'est une affaire réglée puisqu'il a trouvé un appartement pour lui tout seul il y a quelques jours.

— Ah bon ? Et quand comptiez-vous me l'annoncer ? je feins de m'indigner.

— Il n'est pas encore installé. Il a signé le bail avant-hier et si mes souvenirs sont bons, nous ne nous sommes pas parlé depuis.

— Hum... d'accord. Mais il faut fêter ça !

— Fêter quoi ? lâche le principal intéressé sur le pas de la porte.

— Alec !

— Je vous laisse seuls cinq minutes et voilà que ça veut déjà faire la fête sans moi !

Je suis tellement heureuse de le voir qu'un peu à l'instar de James je lui fonce dessus et nous manquons de peu de nous retrouver au sol.

— Il ne fallait pas partir aussi loin et aussi longtemps si ma présence te plaisait autant, fait-il mine de bouder.

— Alec, soupire Evan dans mon dos.

— Je plaisante et Angy le sait très bien.

Bien sûr que je le sais bien, mais sous cette plaisanterie, je discerne une vérité sous-jacente. Mon départ a réellement dû les affecter et bien que je m'en veuille, je suis consciente que revenir sur ma décision ou sur les semaines passées est impossible.

— Tu m'as manqué également, Alec, je réponds simplement.

— Je saurais te le rappeler lorsque tu te ligueras de nouveau avec Evan contre moi, réplique-t-il avec malice

— J'ai déjà fait ça, moi ? je demande avec une fausse innocence.

— Ne fais pas semblant. Je sais qu'Evan est ton petit chouchou. La preuve, vous passiez déjà du temps sans moi.

— Ferme ton clapet et viens t'installer pour manger ! gronde Evan.

Alec me gratifie d'un clin d'œil complice avant de se diriger vers son frère. Notre trio est de nouveau réuni et même si beaucoup de choses ont changé, l'essentiel est resté le même.

Je me réveille en pleine forme au beau milieu de la nuit. J'aurais dû éviter de faire une sieste à mon arrivée à l'appartement, car je sens que j'ai perturbé mon rythme biologique. Je tente de me rendormir devant une série, mais presque une heure plus tard, je dois me rendre à l'évidence : Morphée ne m'ouvrira plus ses bras. Je me glisse hors du lit et me faufile dans la salle de bain, en espérant ne pas réveiller les garçons.

Lorsque je pousse la porte de mon petit studio après ma douche, une vague de bien-être m'envahit instantanément. Je respire l'odeur familière de l'endroit et c'est comme une drogue, une dose d'adrénaline dont j'ai besoin dans ma vie. J'ai été privée de cela pendant des jours, mais maintenant que je me tiens au cœur de cette pièce, je réalise que cette sensation m'est indispensable. Mon erreur a été de penser que la danse était le problème, alors qu'elle a toujours été la solution dans ma vie. Mon corps frémit d'excitation au moment même où je lance la musique dans mes oreilles. L'envie de chausser mes pointes me titille, mais je résiste à cette tentation pour éviter une blessure inutile. Lorsque je m'élance enfin après mon échauffement, je me sens en parfaite harmonie. Angelina Carter est morte... Vive Angelina Carter.

J'ouvre les yeux alors que le soleil est déjà bien haut dans le ciel, mais cela ne m'étonne pas, vu l'heure tardive à laquelle je me suis couchée. J'ignore mon mal de tête, car je flotte toujours sur un petit nuage et que je n'ai aucune intention d'en descendre de sitôt. Les garçons ont généreusement proposé de prendre leur journée pour rester à mes côtés, mais j'ai décliné leur offre. Pour l'instant, je préfère ne pas être le centre de l'attention. J'ai déjà assez été sous les feux de la rampe ces derniers temps et l'ombre me semble être le meilleur endroit pour les jours à venir.

Nous sommes lundi matin et je trouve étrange de me retrouver à l'appartement sans avoir à courir dans tous les sens pour ne pas être en retard au travail ou à l'école. Je décide de profiter de ce moment pour faire des choses que je néglige souvent. Je me fais couler une tasse de café et je me lance dans la préparation d'un petit-déjeuner copieux. Je commence seulement à battre les œufs lorsque l'on frappe à la porte. Je vais rapidement ouvrir, mais la silhouette familière qui se tient de l'autre côté me surprend tellement que je manque de lâcher mon bol.

🖋️ Prochain chapitre, ce vendredi à 18h30

BALLERINATahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon