• CHAPITRE HUIT •

19.7K 1.4K 69
                                    




— A —

Le club est plein à craquer, mais je suis ravie d'apprendre en arrivant dans les vestiaires que deux nouvelles recrues ont été embauchées pour alléger la charge de travail de l'équipe. Cependant, je perds rapidement mes illusions lorsque je réalise qu'elles ne sont pas du tout expérimentées. Elles ralentissent la cadence et se révèlent être plus une source de gêne qu'autre chose. Puisqu'un problème n'advient que très rarement seul, c'est également ce soir que la technologie choisit de faire des siennes. Je souffle un bon coup et je décide de prendre les nouvelles sous mon aile pour qu'elles puissent se former un maximum en un minium de temps avant que les choses ne se corsent. Bien que le Convivium soit déjà bondé de monde, elles n'ont encore rien vu et elles n'ont aucune idée de ce qui les attend. Certains des regards que me lancent mes compagnons de travail en disent long sur ce qu'ils pensent de moi, mais je ne m'en formalise pas. Je suis persuadé qu'ils croient tous que si nous sommes sous l'eau c'est de mon fait et non de celui de Jamie. Il a peut-être l'ancienneté qui joue en sa faveur, mais j'ai ma conscience pour moi et en dehors du fait de me défendre je n'ai rien fait de mal ! Qu'importe s'ils ne sont pas en mesure de le comprendre. J'ai bien mieux à faire que de gaspiller en vain ma salive en leur donnant mon point de vue. Je fais glisser un verre vers Alec et il se penche au-dessus du bar pour me claquer un baiser sur la joue en guise de remerciement. Offrir un cocktail serait du vol à mes yeux alors même si je le laisse croire qu'il boit gratuitement je règle à sa place dès qu'il a le dos tourné. Du coin de l'œil, j'aperçois qu'il tente de jouer de son charme sur Sonia et je dois me contenir pour ne pas rire quand je vois qu'elle l'ignore superbement en retour. À quoi s'attendait-il après m'avoir embrassé devant elle ? Je m'incline pour lui parler dans l'oreille.

— À quelle heure nous rejoint Evan ?

— Aucune idée, mais j'espère bien avoir mon compte d'ici là ! J'ai eu le poste d'ingénieur en intelligence artificielle le plus convoité de l'état ! crie-t-il.

Il lève son verre à mon intention et le termine cul sec.

— Parfois, il m'arrive d'oublier que tu as la tête bien faite ! je plaisante.

— Rassure-toi, je l'oublie également souvent ! s'esclaffe-t-il.

Il tapote à toute vitesse sur la tablette devant lui et glisse d'un coup sec sa carte de crédit dans le lecteur.

— Merci pour le verre Angy ! dit-il avec un clin d'œil. Un autre s'il te plaît, madame la créatrice de cocktails hors du commun !

Il faut croire que je n'ai pas été aussi discrète que je le pensais finalement.

— Dixit l'homme qui a vidé son verre sans même prendre le temps de le savourer !

— Ne sois pas rabat-joie !

Sans aucun avertissement, il bondit presque et m'attrape par la nuque pour claquer un nouveau baiser sur ma joue.

— Arrête ! Avant que les clients ne s'imaginent qu'ils peuvent également se permettre ce genre de familiarité !

Il me fait un autre clin d'œil et me relâche non sans tirer sur ma queue de cheval. Autant Evan me traite bien souvent comme une enfant fragile, autant Alec préfère passer son temps à me bousculer telle une petite sœur. Je me détourne et je souris discrètement, car il me divertit bien plus qu'il ne m'épuise en réalité. Je m'apprête à attraper une bouteille lorsque je me fige. Là, dans le miroir, une paire d'yeux ombrageux me fixent. Ce contact visuel m'ébranle plus que de raison, mais ma conscience me ramène rapidement sur terre. Ce n'est peut-être pas lui et même si c'était le cas il n'est peut-être pas ici pour me voir. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de scruter chaque client alors que je me lance dans la réalisation du cocktail.

À son arrivée, Evan s'accoude près d'Alec non loin de mon poste. Comme doté d'œillères, il s'est dirigé droit vers nous sans même se soucier des gens et de l'environnement qui l'entouraient. Il n'a pas prêté le moindre intérêt aux réactions qu'il a suscitées sur son passage. Contrairement à son extraverti de frère, il n'aime pas se retrouver au centre de l'attention. Je fais glisser une bière devant lui avant même qu'il n'ouvre la bouche. Il me tend sa carte, mais je la refuse d'un geste ce qui a le don de lui faire froncer les sourcils. J'enregistre la commande que je règle également et je laisse les garçons à leur tentative de conversation. Je me réjouis à l'idée que ma soirée se terminera bien mieux qu'elle n'a commencé.

Deux heures plus tard, je sue à grosses gouttes. Le service est à tel point intense que je n'ai plus eu un seul moment de libre pour échanger ne serait-ce qu'un regard avec eux. Je ne m'en plains pas dans la mesure où mon bocal à pourboire déborde. Alec a honteusement abandonné Evan et il se trémousse maintenant sur la piste avec une armada de femmes autour de lui. Au moment où il s'aperçoit que je l'observe, il me fait de grands signes pour que je le rejoigne. Je refuse fermement, mais cela ne l'arrête pas pour autant et il se décide à mimer une prise au lasso. Je dois me faire violence pour me retenir de ricaner, car cela ne ferait que le conforter dans sa bêtise, mais ce n'est pas l'envie qui m'en manque. Je coule un regard vers Evan et il lève les yeux au ciel en soupirant. La mine abattue qu'il affiche a raison de moi alors je me lâche et je ris à en pleurer. Alexa prend le poste à côté du mien et même si nous n'avons pas eu l'occasion de beaucoup discuter depuis que nous avons commencé notre service, je lui demande une faveur.

— Est-ce que je peux te transférer ma ligne de commandes, s'il te plaît ?

La musique est si forte que je dois crier une nouvelle fois ma requête dans ses oreilles avant qu'elle ne la comprenne.

— Même pas en rêve ! hurle-t-elle à son tour.

Je mets mes mains en prière pour la supplier, mais elle me répond avec un non catégorique de la tête. Je décide donc d'activer le regard triste de hamster mignon que j'imite plutôt bien d'après Kristen.

— Tu me gonfles ! peste-t-elle.

Elle s'approche de ma tablette et pianote dessus pour faire le nécessaire. Je vérifie que le transfère s'est bien effectué et je bascule sur le mode indisponible avant de la serrer rapidement dans mes bras et de m'élancer vers la piste. Je n'ai pas encore pris de pause de la soirée, je peux bien me permettre de souffler quelques minutes avec Alec. Lorsque j'arrive près de lui, il me soulève comme une plume et me fait virevolter dans les airs. Mes pieds touchent à peine le sol que je me déhanche en rythme sur la musique avec lui et son groupe d'admiratrices. À l'inverse de la précision chirurgicale avec laquelle je danse au studio, je m'abandonne en toute insouciance. J'évite de réfléchir et je laisse à mes tripes le soin de faire tout le travail. Cela me fait un bien fou ! Alec se lance quant à lui dans une chorégraphie que je qualifierais de mystique au mieux. Elle est à un tel point ridicule qu'elle me fait rire aux éclats. Au moment où je tournoie sur moi-même, j'aperçois furtivement le regard de l'homme qui a hanté malgré moi mes pensées ces derniers jours. Mes pieds se chevauchent et je chute directement dans les bras de mon partenaire.

— C'est moi qui bois et c'est toi qui es ivre ! plaisante-t-il.

Je m'apprête à lui répondre, mais je me fige lorsque je sens que l'on m'attrape fermement par la taille pour me contraindre à faire volte-face.

BALLERINAWhere stories live. Discover now