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L'horloge sonne midi alors je me lève et sors en trainant les pieds. Je n'ai pas particulièrement faim, le sang est quelque chose de très nourrissant et un repas par jour suffit amplement pour combler les besoins d'un vampire mais je ne peux rester ici pendant ma pause déjeuner, ça paraîtrait suspect. En plus aujourd'hui, comme tous les mercredis, c'est déjeuner entre collègue payé par l'entreprise. C'est Léo qui a imposé ça, c'est un homme d'affaire, il s'y connait et il pense qu'il est important que les employés passent du temps ensemble pour fournir un travail efficace. Il m'a aussi avoué que ça me permettrait d'être mieux connu de mes collègues et donc moins soupçonnée de mes véritables intentions ou de ce que je suis réellement. Résultat, je me retrouve contrainte de manger de la nourriture pour humain et de supporter l'odeur de sang humain prenant une odeur bien plus appétissante que ce qui se trouve dans mon assiette. Je traine les pieds, je n'ai pas envie d'y aller, comme à chaque fois. Je grimpe dans ma voiture et rejoins le petit restaurant où l'on se retrouve. Les autres font surtout du covoiturage, je réussi à les convaincre que je préfère y aller seule. Non seulement j'aime la solitude, mais ce serait bête que quelqu'un trouve mon thermos de sang caché dans ma voiture et que je bois toujours après ces repas. Léo a toujours insisté pour que je fasse comme tout le monde et j'ai essayé. On avait tous les deux consciences de l'importance de mon image au sein de l'entreprise mais résister à l'odeur du sang fraichement nourri était bien trop difficile, j'étais obligée de partir dans l'après-midi pour chasser, ce qui me rendait bien plus suspecte et moins discrète que si j'allais seule au restaurant mais avec un thermos de sang caché dans ma voiture. Je me gare non loin du restaurant et marche lentement jusqu'à celui-ci. Avant d'entrer, j'inspire longuement l'air frai extérieur comme si c'était la dernière fois je le respirai. J'entre finalement et un flot d'odeur toutes appétissantes m'envahit. Lorsqu'un homme mange, son odeur est d'autant plus forte mais elle prend également l'odeur de ce qu'il mange. Il n'y a que dans les restaurants que je peux saliver en sentant une odeur de steak bien cuit mêlée à celle du sang. Mes canines me titillent mais je me force à les garder rétractées. Mes collègues sont déjà là, installés à une table alors je les rejoins. Le repas se passe plutôt bien, j'essaie de m'investir un maximum dans la conversation afin de détourner mon attention de toutes ces odeurs. Le serveur finit par apporter les cafés. J'avale le mien rapidement comme la plupart des plats que l'on me donne durant ce genre de repas. Le café est la seule boisson humaine que je bois de mon plein gré. Après tout, la caféine est l'une des rares choses qui a le même effet sur l'homme que sur les vampires. Cependant, le café est un traitre. Je n'ai jamais aimé le café, même avant de devenir un vampire, j'ai toujours trouvé son goût amer, c'est encore pire maintenant mais je suis devenue une accro au effet de la caféine. A la fin du repas, mes collègues sortent pour fumer une cigarette devant l'entrée, j'en profite pour aller à ma voiture en prétextant y avoir laissé mon paquet et bois une gorgée de sang de mon thermos ce qui calme immédiatement mes pulsions. Je retrouve ensuite le reste de mes collègues et nous fumons ensemble en discutant.

Je me souviens de ma première cigarette. J'avais quatorze ans. Je n'ai jamais été un modèle de bienséance à suivre, devenir un vampire a juste empiré la chose. J'avais déjà bu plusieurs fois, j'avais même déjà pris une ou deux cuite mais fumer ne m'avait jamais attirée. J'étais à une soirée fêtant je ne sais plus trop quoi, avec des gens tout aussi peu fréquentable que moi, on avait beaucoup bu. On sortit et mes deux camarades grillèrent chacun une cigarette au milieu de tous les autres fumeurs. Ils m'en tendirent une. Je refusai d'abord puis l'un d'eux me lança un regard de défi en prononçant quelque chose. L'alcool embuant ma mémoire, je ne me souviens plus de ce qu'il a dit exactement mais je me souviens qu'il me défiait de tirer au moins une latte de sa cigarette. Je l'ai fait, je relève toujours tous les défis. Je me souviens de la fumée brûlant tous sur son passage et de mes poumons recrachant violement l'insupportable gaz tandis que mes deux compères se moquaient ouvertement de moi. Offensée, j'ai écrasé la cigarette sur le front de l'un d'eux et suis retournée à l'intérieur. Je souris de nouveau en me remémorant la tête du gars souffrant de sa brulure et de son camarade plié en deux de rire. J'avais détesté ce premier contact à la cigarette, même encore aujourd'hui, j'ai du mal à croire que je fume régulièrement. Mais les choses ont beaucoup changé depuis. Je suis devenue immortelle et la sensation de sentir ce liquide froid, visqueux mais régénérant coulant dans mes poumons tout juste brûlés, sensation qu'un humain ne peut ressentir, me rend d'autant plus accro.

La Royauté du RubisWhere stories live. Discover now