CHAPITRE VINGT-NEUF

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Trajet tendu

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Si je pensais avoir connu la colère avant aujourd'hui, je m'étais trompée.

La colère, ce n'est pas seulement avoir envie de frapper quelqu'un jusqu'à ce que son visage soit si défiguré qu'on ne le reconnaisse plus. Ce n'est pas seulement sentir ses muscles se contracter à tel point que serrer les poings en devient douloureux. Ce n'est pas seulement hurler sa haine pour la transmettre au monde.

La colère de Carter, elle, est bien plus profonde, bien plus ancrée en lui.

Jusqu'à présent, je ne m'étais pas rendue compte à quel point il possède ce réservoir de rage en lui, prêt à exploser à la moindre étincelle. C'est en croisant ses yeux, en lisant la puissante et destructrice haine en lui que j'ai compris ce qu'était la colère. La colère, c'est le pire sentiment du monde. Pire que la peur, l'amour ou la tristesse, elle te bouffe de l'intérieur, se propage au plus profond de tes entrailles jusqu'à atteindre ton cœur. Et quand enfin elle arrive à sa destination finale, c'est l'implosion.

J'ai assisté à cette implosion par le biais de Carter. Je sais par expérience qu'il est parvenu à la maîtriser alors je ne veux même pas imaginer ce que ça aurait donné si elle l'avait enveloppé tout entier. Il a beau la réprimer, elle est toujours présente et circule entre nos deux corps, prisonniers de sa voiture.

J'ignore ce qui est le pire : cette colère ardente qu'il ressent ou le silence tendu qui s'étire entre nous. Sans hésiter, j'aurais préféré qu'il me hurle dessus, qu'il me jette par la portière ou qu'il me plante à San Francisco. Son silence est pire que le plus strident des cris.

Mais même si je ne le supporte pas, je ne le brise pas pour autant. C'est un peu notre protection, la seule barrière qui nous empêche de péter les plombs. Je ne veux même pas essayer d'imaginer le bazar qui règne dans la tête de Carter. J'ai beau être sidérée de le voir ici et être effrayée par cette rage qui l'aveugle, ce n'est rien en comparaison de ce qu'il a dû ressentir en me découvrant avec Jayden.

Plus les minutes s'égrènent, moins je me sens apaisée, bien au contraire. La peur que j'ai pu ressentir ne tarde pas à se changer en énervement alors que Carter se terre dans le silence. Cet énervement ensuite se transforme en honte de lui avoir menti, puis en fatigue. Je me sens éreintée, comme si j'avais subi un lavage à la machine à laver à deux cents degrés. Si je n'avais pas dormi depuis deux ans, je suis presque certaine que je ressentirais les mêmes sentiments.

Luttant contre le sommeil qui me guette, je reporte mon attention sur l'extérieur, agressant mes pupilles avec les phares aveuglants des voitures qui défilent à travers le pare-brise. A chaque crissement, je sursaute, certaine que nous allons sortir de la route comme ce fameux soir à Barrows. Vu l'état dans lequel se trouve Carter, j'aurais dû insister pour qu'il ne reprenne pas le volant. Mais je ne l'ai pas fait.

Du coin de l'œil, je le dévisage, espérant lire une expression sur ses traits qui pourrait m'aider à comprendre ce qu'il ressent. Mais c'est trop tard pour ça, il a revêtu l'éternel masque qu'il arbore lorsque les situations le dépassent. Toute trace de colère semble s'être évaporée, tout comme n'importe quelle autre émotion. C'est comme s'il était une coquille vide. Pourtant, bien que je ne les vois pas, ses sentiments sont toujours là, je le sens dans la façon dont ses doigts s'accrochent au volant.

Nous restons ainsi, dans le silence le plus complet, lui son attention reportée sur la route, moi à balader mon regard de son visage aux voitures, pendant un long moment.

DES NUITS PLUS CLAIRES QUE TOUS VOS JOURS [IS HE A BAD BOY ?]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant